Interview de l’évêque Salim Sayegh
Éloge du travail bien fait
Interview de Salim Sayegh par Gianni Valente
«De ce côté-ci, le Seigneur comprend l’arabe et
même il le parle». Pour Salim Sayegh, vicaire patriarcal du
Patriarcat latin pour la Jordanie, les écoles chrétiennes du
pays sont la preuve que les œuvres bonnes peuvent être bien
accueillies dans tous les contextes, sans qu’il soit besoin
d’élever des murs de défense. À ses yeux, il
n’y a derrière leur succès aucun secret particulier.
«Évidemment», dit-il, avec un clin d’œil,
«si elles sont si appréciées, c’est
qu’elles font du bon travail».
Les écoles chrétiennes
d’Outre-Jourdain sont un morceau fondamental de l’histoire du
pays…
SALIM SAYEGH: Le Patriarcat latin a été un pionnier dans le domaine de l’enseignement en Jordanie. Depuis le temps des Turcs, la première chose que faisaient les prêtres du Patriarcat latin partout où ils arrivaient, c’était l’école. Enseigner aux gens à lire et à écrire. Maintenant la situation est différente. Le Ministère de l’Éducation est bien organisé, il y a des écoles dans toute la Jordanie et, parmi elles, beaucoup d’écoles privées qui fonctionnent à merveille.
Et dans ce nouveau contexte, quelle est la mission spécifique des écoles chrétiennes?
SAYEGH: D’abord, elles peuvent aider les gens, musulmans comme chrétiens, à ne pas s’enfermer dans des ghettos. Pour les chrétiens et les musulmans, c’est une richesse de pouvoir vivre ensemble les années de l’école primaire, puis aussi celles du secondaire. Le fait de se mêler ainsi est bon pour la vie sociale.
C’est tout?
SAYEGH: Les écoles sont le moyen le plus important que nous avons à notre disposition pour éduquer nos enfants à la foi chrétienne, pour les introduire dans la vie paroissiale et dans la vie liturgique. Aujourd’hui encore, beaucoup des séminaristes de Beit Jala [le séminaire patriarcal] ont fréquenté dans leur enfance et adolescence les écoles catholiques de Jordanie.
Les écoles chrétiennes ont toujours joui de la faveur de la monarchie hachémite. Pourraient-elles souffrir d’un changement d’assise politique du pays?
SAYEGH: Je ne crois pas. Nous vivons en Orient et l’Orient est traditionaliste. Avoir nos écoles rentre, pour ainsi dire, dans les droits acquis, droits que personne n’aurait l’idée de contester. Même quand les ministres étaient liés aux Frères musulmans, ils n’ont pas accepté de mettre en question le rôle reconnu des écoles chrétiennes. Et puis, disons la vérité: la Jordanie est un pays pauvre et quand les écoles chrétiennes prennent la responsabilité d’instruire et d’éduquer plus de 20 000 élèves pour lesquels l’État ne débourse pas un dinar, c’est un soulagement pour le gouvernement.
Il y a de nombreuses années, vous avez dit qu’en Jordanie les Frères musulmans eux-mêmes n’étaient pas un danger. Le pensez-vous toujours?
SAYEGH: Les Frères musulmans n’ont jamais eu recours à la violence en Jordanie. Il y a beaucoup de gens qui sont considérés comme des fondamentalistes mais, en fait, ce sont de braves gens qui ne veulent rien d’autre que vivre leur foi. Nous en connaissons beaucoup et nous sommes très amis avec certains d’entre eux. Nous nous faisons des visites réciproques, chacun respecte l’autre et il n’y a aucun problème. Et puis, parmi eux, il y en a qui sont arrivistes, qui cherchent à se faire une position, mais nous, cela ne nous intéresse pas. Enfin, parmi les plus frustes et ignorants, il y a parfois des gens agressifs. Cela arrive. C’est normal. Ce sont les choses de la vie. Mais les comportements de méchanceté et d’hostilité à l’égard des chrétiens ne sont pas la règle. Ce sont des exceptions. Et pour cela, il existe des prisons: elles sont faites pour les gens méchants qui ne veulent pas respecter la loi.
En Europe, beaucoup de gens soutiennent qu’il faut répondre avec fermeté au réveil islamique. Et exiger la réciprocité.
SAYEGH: Il faut être objectif. Ici, nous, les arabes chrétiens, nous sommes la minorité. Ici le “boss” est musulman. Quand les musulmans vont en Europe, ils trouvent d’autres boss. Mais dans notre pays le boss a arrangé les choses de façon très équilibrée. Je vous cite un exemple qui serait impensable en Europe: ici, en Jordanie, la loi veut que, sur cent vingt sièges du Parlement, neuf soient assignés aux chrétiens, d’autres reviennent aux Circassiens, aux Bédouins et à d’autres minorités, de sorte que les droits de tous soient garantis.
Vous être en train de peindre un tableau idyllique.
SAYEGH: Les problèmes naissent des mariages entre chrétiens et musulmans. Là, la religion entre en jeu. Si une chrétienne se marie avec un musulman et ne se convertit pas à l’islam, elle n’a pas droit à l’héritage et ne peut éduquer ses enfants comme elle le veut. De plus, si son mari meurt, elle ne peut garder les enfants. Mais ça, c’est la loi, laquelle favorise toujours le conjoint musulman. C’est pourquoi nous ne donnons jamais de dispense pour des mariages mixtes de ce genre.
En attendant, à vos frontières, le Moyen-Orient est en flammes. Et pour beaucoup de gens, en Occident, c’est l’islam qui en porte la faute.
SAYEGH: L’Occident n’a jamais compris ce qu’est l’islam et ce que sont les musulmans. Sinon, ils auraient agi différemment sur la question palestinienne qui traîne depuis presque un siècle. Ils auraient agi différemment sur la question irakienne. Et quand on veut écraser les gens de son mépris, comme cela s’est produit en Irak ou en Palestine, voilà ce qui arrive.
L’évêque Salim Sayegh pendant une cérémonie à Wadi Karrar, dans le lieu où, selon les archéologues jordaniens, Jésus fut baptisé
SALIM SAYEGH: Le Patriarcat latin a été un pionnier dans le domaine de l’enseignement en Jordanie. Depuis le temps des Turcs, la première chose que faisaient les prêtres du Patriarcat latin partout où ils arrivaient, c’était l’école. Enseigner aux gens à lire et à écrire. Maintenant la situation est différente. Le Ministère de l’Éducation est bien organisé, il y a des écoles dans toute la Jordanie et, parmi elles, beaucoup d’écoles privées qui fonctionnent à merveille.
Et dans ce nouveau contexte, quelle est la mission spécifique des écoles chrétiennes?
SAYEGH: D’abord, elles peuvent aider les gens, musulmans comme chrétiens, à ne pas s’enfermer dans des ghettos. Pour les chrétiens et les musulmans, c’est une richesse de pouvoir vivre ensemble les années de l’école primaire, puis aussi celles du secondaire. Le fait de se mêler ainsi est bon pour la vie sociale.
C’est tout?
SAYEGH: Les écoles sont le moyen le plus important que nous avons à notre disposition pour éduquer nos enfants à la foi chrétienne, pour les introduire dans la vie paroissiale et dans la vie liturgique. Aujourd’hui encore, beaucoup des séminaristes de Beit Jala [le séminaire patriarcal] ont fréquenté dans leur enfance et adolescence les écoles catholiques de Jordanie.
Les écoles chrétiennes ont toujours joui de la faveur de la monarchie hachémite. Pourraient-elles souffrir d’un changement d’assise politique du pays?
SAYEGH: Je ne crois pas. Nous vivons en Orient et l’Orient est traditionaliste. Avoir nos écoles rentre, pour ainsi dire, dans les droits acquis, droits que personne n’aurait l’idée de contester. Même quand les ministres étaient liés aux Frères musulmans, ils n’ont pas accepté de mettre en question le rôle reconnu des écoles chrétiennes. Et puis, disons la vérité: la Jordanie est un pays pauvre et quand les écoles chrétiennes prennent la responsabilité d’instruire et d’éduquer plus de 20 000 élèves pour lesquels l’État ne débourse pas un dinar, c’est un soulagement pour le gouvernement.
Il y a de nombreuses années, vous avez dit qu’en Jordanie les Frères musulmans eux-mêmes n’étaient pas un danger. Le pensez-vous toujours?
SAYEGH: Les Frères musulmans n’ont jamais eu recours à la violence en Jordanie. Il y a beaucoup de gens qui sont considérés comme des fondamentalistes mais, en fait, ce sont de braves gens qui ne veulent rien d’autre que vivre leur foi. Nous en connaissons beaucoup et nous sommes très amis avec certains d’entre eux. Nous nous faisons des visites réciproques, chacun respecte l’autre et il n’y a aucun problème. Et puis, parmi eux, il y en a qui sont arrivistes, qui cherchent à se faire une position, mais nous, cela ne nous intéresse pas. Enfin, parmi les plus frustes et ignorants, il y a parfois des gens agressifs. Cela arrive. C’est normal. Ce sont les choses de la vie. Mais les comportements de méchanceté et d’hostilité à l’égard des chrétiens ne sont pas la règle. Ce sont des exceptions. Et pour cela, il existe des prisons: elles sont faites pour les gens méchants qui ne veulent pas respecter la loi.
En Europe, beaucoup de gens soutiennent qu’il faut répondre avec fermeté au réveil islamique. Et exiger la réciprocité.
SAYEGH: Il faut être objectif. Ici, nous, les arabes chrétiens, nous sommes la minorité. Ici le “boss” est musulman. Quand les musulmans vont en Europe, ils trouvent d’autres boss. Mais dans notre pays le boss a arrangé les choses de façon très équilibrée. Je vous cite un exemple qui serait impensable en Europe: ici, en Jordanie, la loi veut que, sur cent vingt sièges du Parlement, neuf soient assignés aux chrétiens, d’autres reviennent aux Circassiens, aux Bédouins et à d’autres minorités, de sorte que les droits de tous soient garantis.
Vous être en train de peindre un tableau idyllique.
SAYEGH: Les problèmes naissent des mariages entre chrétiens et musulmans. Là, la religion entre en jeu. Si une chrétienne se marie avec un musulman et ne se convertit pas à l’islam, elle n’a pas droit à l’héritage et ne peut éduquer ses enfants comme elle le veut. De plus, si son mari meurt, elle ne peut garder les enfants. Mais ça, c’est la loi, laquelle favorise toujours le conjoint musulman. C’est pourquoi nous ne donnons jamais de dispense pour des mariages mixtes de ce genre.
En attendant, à vos frontières, le Moyen-Orient est en flammes. Et pour beaucoup de gens, en Occident, c’est l’islam qui en porte la faute.
SAYEGH: L’Occident n’a jamais compris ce qu’est l’islam et ce que sont les musulmans. Sinon, ils auraient agi différemment sur la question palestinienne qui traîne depuis presque un siècle. Ils auraient agi différemment sur la question irakienne. Et quand on veut écraser les gens de son mépris, comme cela s’est produit en Irak ou en Palestine, voilà ce qui arrive.