Accueil > Archives > 12 - 2009 > L’affaire Baoding et la Lettre du Pape
CHINE
Tiré du n° 12 - 2009

L’affaire Baoding et la Lettre du Pape


La véritable histoire de l’évêque François An Shuxin: détenu pendant dix ans par les communistes, insulté par des agences catholiques, accusé par ses frères dans la foi et traité avec un peu d’embarras par le Vatican lui-même. Une histoire emblématique qui révèle des résistances diffuses aux conseils pastoraux adressés par Benoît XVI à tous les catholiques chinois dans la Lettre de juin 2007


par Gianni Valente


Des fidèles à la sortie de la messe devant la cathédrale Immaculée-Conception (Nantang), à Pékin [© Associated Press/LaPresse]

Des fidèles à la sortie de la messe devant la cathédrale Immaculée-Conception (Nantang), à Pékin [© Associated Press/LaPresse]

Que l’on emprunte la route express ou le train, il n’est pas difficile d’arriver à Baoding, ville située à moins de 150 km au sud de Pékin. Il y a déjà un bon bout de temps qu’en ce lieu l’on a mis fin aux industries polluantes et que l’on s’est mis à fabriquer des turbines éoliennes et tout ce qui sert à utiliser l’énergie du soleil, du vent et des biomasses. C’est pourquoi les journaux gouvernementaux la célèbrent comme la capitale des énergies renouvelables, la ville-modèle de la voie chinoise vers le développement durable. Mais pour ceux aussi qui connaissent un minimum l’histoire récente des catholiques chinois, Baoding n’est pas un lieu comme les autres. Et pour une raison bien différente.
Le nom de la ville de l’Hebei, qui compte actuellement moins d’un million d’habitants, revient souvent dans les chroniques de la catholicité chinoise des dernières décennies comme le siège d’épisodes délicats et controversés. C’est à Baoding que l’évêque Joseph Fan Xueyan commença en 1981 à ordonner des évêques de façon clandestine, en dehors des ingérences et des contrôles des organismes “patriotiques” imposés à l’Église par la politique religieuse du régime. Initiative autorisée post factum par le pape Jean Paul II et lourde de conséquences. Car, à partir de là, se développa en un éclair le réseau des évêques “clandestins” – c’est-à-dire non reconnus comme tels par le gouvernement – qui prirent la tête de la partie de la catholicité chinoise – prêtres, religieux, communautés – qui n’acceptait pas de soumettre sa vie ecclésiale au contrôle du Parti.
Trente ans plus tard, Baoding est de nouveau au centre d’une controverse qui rappelle d’une certaine façon le choix fait en son temps par Joseph Fan. Tout tourne autour du cas d’un évêque de l’aire clandestine qui a décidé de sortir de la situation de clandestinité et d’accomplir son mandat pastoral en acceptant les procédures imposées par les autorités civiles. Son choix a déclenché une tempête de polémiques venimeuses qui déchirent les communautés catholiques de la région et dans lesquelles le Vatican a fini par être lui-même impliqué. Il s’agit d’une affaire qui encore aujourd’hui est peu claire et, jusqu’à présent, les quelques reconstitutions lacunaires et tendancieuses mises sur la toile par des agences ou des personnes qui se prétendent spécialistes ont favorisé une lecture fallacieuse des événements. Mais deux documents, ignorés aujourd’hui encore des agences de presse occidentales, éclairent parfaitement la façon dont les faits se sont concrètement déroulés ainsi que les motivations des personnages principaux, et laissent entrevoir en filigrane les implications et les enjeux réels d’une affaire dont les dimensions dépassent maintenant celle qui nous occupe.

L’évêque coadjuteur de Baoding, François An Shuxin [© Ucanews]

L’évêque coadjuteur de Baoding, François An Shuxin [© Ucanews]

Une histoire mal racontée
L’Hebei est depuis toujours une des régions de la Chine qui compte le plus grand nombre de catholiques. Et la ville de Baoding est considérée depuis l’époque du regretté évêque Fan – dont la police a remis le cadavre à sa famille en avril 1992 – comme une forteresse des communautés dites clandestines.
François An Shuxin, soixante ans et au centre de la tempête actuelle, est un fils spirituel de Joseph Fan. Il a exercé son sacerdoce dans le réseau de structures et de communautés dites “souterraines”, c’est-à-dire non enregistrées auprès des organismes gouvernementaux, et est devenu évêque auxiliaire “clandestin” de Baoding en 1992. C’est la raison pour laquelle, de 1996 à 2006, il a fait, isolé et étroitement surveillé, dix années de prison. Il y a trois ans, en août, il a été libéré et a recommencé à exercer son ministère pastoral en sortant de sa situation de clandestinité.
La voie prise par François An a immédiatement suscité mauvaises humeurs et incompréhensions à l’intérieur de l’aire clandestine de son diocèse. Avec le temps, le malaise de certains prêtres et de certains fidèles, déjà opposés à sa mise en liberté, s’est transformé en une hostilité ouverte à l’égard de l’évêque considéré comme un traître, puis en un rejet explicite de son autorité épiscopale. Des agences occidentales ont abondamment diffusé sur Internet les chefs d’accusation qui prouveraient qu’An est sorti du droit chemin. Il a ainsi, par exemple, décidé de concélébrer la messe avec Jean Su Changshan, évêque “officiel” de Baoding, reconnu comme tel par le gouvernement mais non par le Siège apostolique. Il a surtout accepté des charges à l’intérieur de l’Association patriotique diocésaine, l’organisme hybride inspiré par le Parti communiste comme instrument de contrôle de l’Église chinoise. Et tout cela alors qu’on ne sait toujours pas où se trouve l’évêque ordinaire clandestin de Baoding, Jacques Su Zhimin, arrêté en 1996 par la police. Complication supplémentaire, les opposants les plus acharnés d’An ont impliqué le Siège apostolique lui-même, en présumant d’hypothétiques pressions que la Congrégation Propaganda Fide aurait exercées sur l’évêque pour l’amener à quitter sa situation de clandestinité et à collaborer avec les autorités politiques.
Dans les informations sommaires et souvent manichéennes des agences et des blogs, cette affaire risque de se voir réduite à un simple cas de reculade: un ecclésiastique retourne sa veste et accepte d’être de connivence avec son ennemi persécuteur, de mèche avec d’obscurs fonctionnaires du Vatican dont les idées semblent, au mieux, ingénues et confuses. Mais les choses sont-elles vraiment ainsi?

La cathédrale de Baoding [© Ucanews]

La cathédrale de Baoding [© Ucanews]

Document numéro 1. L’interrogatoire des clandestins
La reconstitution la plus détaillée du déroulement des faits vient d’une source peu suspecte de sympathies pour l’évêque An. .30giorni.it – prend parfois un tour inquisitorial à travers des questions pressantes qui ont pour effet de rendre plus efficace encore la patiente déposition de l’évêque. An raconte qu’il a noté déjà autour de 2000 un certain changement de comportement chez les fonctionnaires politiques qui géraient son isolement forcé. À cette époque, dit-il, «ils ont commencé eux aussi à souligner qu’il fallait obéir au Pape, que, sinon, l’Église catholique n’existe plus. Mais, ont-ils ajouté, «on obéit au Pape dans la foi, dans la discipline et dans la doctrine». Ses interlocuteurs continuent à revendiquer un contrôle politique et administratif dans la gestion de la communauté ecclésiale, mais ils ajoutent: «L’administration telle que nous l’entendons, nous, est une administration formelle, elle ne signifie pas administrer l’intérieur de la foi telle que vous la concevez, parce que nous, nous ne pouvons pas nous ingérer dans les affaires de votre foi».
Dans l’interview, An précise que ce ne sont pas les avances que lui ont faites les fonctionnaires du Parti qui l’on convaincu de sortir de la situation d’évêque clandestin. Ce qui a beaucoup plus compté, ce sont les faits et les nouvelles qui ont détruit certains clichés à travers lesquels lui-même observait et jugeait la vie de l’Église de Chine. «J’ai su», explique à un certain moment l’évêque, «que le Pape avait reconnu beaucoup d’évêques officiels. Avant, nous pensions que ceux-ci avaient des problèmes, mais le Pape les a reconnus. Si le Pape dit qu’il n’y a pas de problème, nous que pouvons-nous dire? Si nous continuons à dire que ce sont eux qui ont des problèmes, alors cela signifie que c’est nous qui avons des problèmes». An raconte que, sur le plan des faits, la première chose qu’il a faite pour tâter le terrain a été d’encourager quelques prêtres “clandestins” à se faire enregistrer auprès des organismes politiques. Quand il a décidé de franchir le pas lui aussi, il a usé de ruses pour prouver au moins la sincérité de ses intentions: au moment de signer les formulaires pour obtenir sa “carte d’évêque” – un certificat prévu pour le clergé dans la province de l’Hebei – il n’a pas signé les sections relatives à l’auto-élection des évêques et a ajouté une éloquente note explicative («présupposant ne pas violer la foi catholique») à la partie qu’il a signée, où il était question des principes d’auto-gestion et d’indépendance de l’Église chinoise. Puis les fonctionnaires du gouvernement lui ont demandé de concélébrer avec l’évêque officiel de Baoding, pour rendre l’union manifeste. Cette concélébration présentée par ses détracteurs comme preuve principale de sa reculade scandaleuse s’est faite, selon An, dans le plein respect des normes canoniques qui interdisent la communion sacramentelle avec les évêques illégitimes: «J’ai célébré avec Su Changshan parce que Su a demandé à maintes reprises sa légitimation au Saint-Siège, tout en sachant que le Saint-Siège ne pouvait le légitimer parce qu’à Baoding il y avait encore l’évêque ordinaire légitime Su Zhimin et moi-même. Le Saint-Siège a répondu à Su Changshan qu’il ne lui permettait pas d’exercer le ministère épiscopal mais qu’il lui accordait le droit d’agir comme prêtre. C’est évident, moi aussi, à ce moment, j’ai pensé au moyen de ne pas violer le principe de la communion sacramentelle. C’est pourquoi, quand nous avons concélébré, aucun de nous ne revêtait les ornements et les insignes épiscopaux».
Pressé par son interlocuteur, l’évêque répond aussi à d’autres objections. En ce qui concerne le sort de Mgr Su Zhimin, An admet qu’il n’a aucune nouvelle de l’évêque ordinaire du diocèse mais il se rappelle bien qu’«au début de 1996 ou à la fin de 1995, l’évêque Su Zhimin voulait sortir de la clandestinité et que [lui-même] l’en avait empêché. An précise aussi qu’il a accepté depuis quelques mois la charge de vice-président de l’Association patriotique locale, ne garantissant sa disponibilité que “verbalement”, sans signer aucune inscription personnelle à l’organisme “patriotique”. À l’intervieweur qui lui demande s’il ne se rend pas compte qu’il a violé les principes en acceptant des charges venant d’une association qui se met au-dessus de l’Église, An répond avec une simplicité désarmante: «Quand un évêque diocésain prend la charge de l’Association patriotique, ce qui est important, c’est de savoir si cet évêque agit selon la foi ou non. Il nous semblait à nous aussi un peu contradictoire que certains évêques aient obtenu la reconnaissance du Pape alors qu’ils avaient des charges dans l’Association patriotique. Mais en réalité ce n’est pas du tout contradictoire. Ce que le Pape a reconnu, ce sont les évêques. Le Pape n’a jamais reconnu l’Association patriotique. Les évêques acceptent la charge simplement pour mieux gouverner le diocèse». L’évêque accusé répète qu’il a fait seulement ce qu’il a vu faire dans d’autres diocèses, où, depuis des décennies, d’autres évêques ont soustrait la vie de l’Église à la pression des appareils patriotiques, en acceptant tout simplement d’assumer eux-mêmes le contrôle de ces organismes. An répète à plusieurs reprises que son unique intention a été de mettre fin au «gouvernement anormal du diocèse», où le désordre «n’est pas créé par les autres mais par nous-mêmes», pour permettre «aux fidèles d’aller normalement à l’Église».
L’évêque se dit conscient de courir «quelque risque». Mais il est conforté dans son attitude par son impression d’être en accord avec les conseils venant du Siège apostolique: «Je regarde seulement l’orientation du Saint-Siège, j’agis en regardant l’orientation du Saint-Siège. En 1996, les fidèles [des deux aires, l’aire “clandestine” et celle qui est reconnue par les autorités politiques] ne pouvaient même pas prier ensemble et cela causait de très graves dommages. J’ai vu qu’autrefois le diocèse de Baoding considérait que les évêques auto-élus et auto-consacrés méritaient une punition, qu’ils appartenaient à une Église schismatique et que les sacrements qu’ils administraient étaient problématiques. Par la suite, j’ai appris que plus de quatre-vingt pour cent de ces évêques avaient été reconnus par le Pape…». Quoiqu’il en soit, An se dit prêt à se retirer immédiatement «si le Saint-Siège lui dit que ce qu’il a fait ne va pas».
En vérité, dès 2006 le Saint-Siège a envoyé à Baoding une série de documents reconnaissant à l’évêque à peine sorti de la situation de clandestinité l’autorité légitime pour administrer le diocèse. Mais ces attestations pontificales ont été à plusieurs reprises ignorées par des groupes de prêtres plus critiques à l’égard du choix de An, groupes qui, parfois même, pour se justifier, ont allégué, par exemple, l’absence de timbre ou de signature qui invalidaient, selon eux, les missives venues de Rome. Et quand est arrivée du Vatican la lettre qui, d’évêque auxiliaire qu’il était, le nommait coadjuteur, An l’a montrée aux prêtres pour prouver son autorité épiscopale alors précisément contestée: dans l’interrogatoire il raconte que, cette fois, ceux qui s’opposaient à lui «n’ont pu faire valoir aucun doute» mais qu’«ils ont simplement refusé cette lettre». Pour eux, An n’est plus digne d’être évêque depuis qu’il aurait accepté les requêtes des fonctionnaires politiques et des appareils patriotiques. Ils l’ont écrit noir sur blanc, entre autres dans les lettres de dénonciation qu’ils ont envoyées aux palais du Vatican, dès le début de cette querelle.

Fidèles en prière devant la crèche dans une église de la ville de Qingdao, dans la province chinoise du Shandong [© Corbis]

Fidèles en prière devant la crèche dans une église de la ville de Qingdao, dans la province chinoise du Shandong [© Corbis]

La lettre de Propaganda Fide
Alors que la polémique enflait, des dépêches d’agence, invoquant des sources anonymes du Vatican et de Baoding, ont soutenu que l’évêque An était sorti de la situation de clandestinité sous la pression de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples. Le 3 novembre dernier, le dicastère vatican qui suit les circonscriptions ecclésiastiques chinoises a diffusé une note de démenti, aussi inhabituelle que catégorique, publiée par l’agence Fides.
En réalité, le Saint-Siège n’a pas exercé de pressions mais il a plus d’une fois soutenu, et parfois par des interventions écrites, la légitime autorité et la personne de l’évêque An. La plus éloquente de ces interventions est la lettre du 29 juin 2008 envoyée par le cardinal Ivan Dias, préfet de la Congrégation de Propaganda Fide, aux évêques, aux prêtres, aux religieux et aux fidèles du diocèse de Baoding, Le document a été lui aussi publié sur le site www.ccccn.org, et le texte intégral peut être aujourd’hui consulté en italien sur www.30giorni.it, dans une traduction que nous avons faite du chinois.
La longue lettre est parsemée de rappels de la Lettre adressée par Benoît XVI aux catholiques chinois en juin 2007 et contient l’invitation à considérer cette Lettre comme texte de référence sur la voie de la réconciliation. Les paragraphes qui se réfèrent à la situation particulière de Baoding sont sans équivoque. Dias rappelle à tout le diocèse sa «chance d’avoir comme évêques légitimes Jacques Su Zhimin – quoi qu’il ne puisse assumer sa charge, parce qu’il est encore en détention – et son coadjuteur François An Shuxin». Il écrit que «tous sans exception» ont le devoir de les reconnaître comme évêques légitimes du diocèse de Baoding et aussi de les soutenir matériellement et spirituellement «surtout dans les circonstances actuelles si difficiles et si délicates pour leur mission de pasteurs». «L’orientation traditionnelle “nihil sine episcopo”, reproposée par le Pape dans sa Lettre», poursuit-il, «conserve toute sa valeur (n. 10, par. 9)». Le préfet de Propaganda Fide rassure tout le monde sur le fait que «le Pape Benoît XVI et le Saint-Siège sont bien informés de tout ce qu’a fait l’évêque François An Shuxin après sa sortie de prison». Il fait remarquer que personne n’ignore de quelle façon «il a témoigné sa fidélité au Christ et à l’Église par plus de dix ans de prison», agissant toujours «avec une intention droite et une réelle bonne volonté, visant toujours au bien de l’Église». Il écarte avec décision toutes les suppositions et les résistances qui se sont développées autour de ses choix: «Tout le monde doit savoir», dit-il, «que l’évêque est apprécié et qu’il jouit de la faveur et de la confiance totale du Saint-Siège. Aussi, personne ne peut se permettre de douter de sa sincérité ou de s’opposer à son autorité en diffusant des jugements inconsidérés qui troublent les fidèles. Cela non seulement fait un très grand plaisir aux ennemis de l’Église mais représente aussi un grave manque de charité devant Dieu et l’Église».
Paroles péremptoires qui ramènent l’affaire à sa réalité paradoxale: un évêque légitime et en pleine communion avec l’évêque de Rome est rejeté par une partie de son clergé qui l’accuse d’être peu fidèle au Siège romain.

Fidèles durant la messe de Noël dans l’église catholique Xishiku, à Pékin [© AFP/Getty Images]

Fidèles durant la messe de Noël dans l’église catholique Xishiku, à Pékin [© AFP/Getty Images]

Le Pape “peu clair” et la Lettre cachée
Dans une interview récente accordée à l’agence Ucanews, l’évêque An avait admis: «Après ma libération, en 2006, j’ai refusé d’adhérer à l’Association patriotique. J’ai changé d’idée après avoir lu la Lettre du Pape». Dans l’interrogatoire dont nous avons parlé, An ajoute des détails éloquents sur la façon dont a été reçue la Lettre envoyée par Benoît XVI aux catholiques chinois: «Après la publication de la Lettre du Pape en 2007», dit l’évêque, «beaucoup de prêtres [parmi ceux qui s’opposent à lui] ont empêché les fidèles de lire la Lettre pastorale parce que, disaient-ils, le Pape n’était pas clair. En tout cas, ils ne laissent pas les gens étudier la Lettre. Et cela est déjà en soi un problème […]. Quand ces prêtres ont su que les sœurs de la congrégation diocésaine l’avaient étudiée en cachette, des conflits sont nés».
La Lettre de Benoît XVI aux catholiques chinois, publiée le 30 juin 2007, est le document le plus important envoyé jusqu’à présent par le Siège apostolique à l’Église de Chine. Mais depuis qu’elle a été publiée, il y a des gens qui s’obstinent à dire de façon plus ou moins explicite qu’elle manque de clarté et que cela l’exposerait à des interprétations divergentes et inspirerait même des choix opposés sur des questions concrètes et délicates comme celles qui concernent les rapports entre l’Église et les pouvoirs civils. En sa qualité d’archevêque émérite de Hong-Kong, le cardinal Joseph Zen, soixante-dix-huit ans, a senti le besoin en novembre dernier, après la publication d’un compendium, sous forme de questions et de réponses, de la Lettre pontificale – qui, selon certains, dont Zen lui-même, contenait des points ambigus qu’il fallait éclaircir –, d’écrire et de publier un guide de 22 pages pour aider à interpréter correctement la Lettre du Pape. Le rôle d’interprète et de médiateur in loco de la Lettre pontificale que Zen a voulu jouer ces derniers mois trouve des applications et des occasions croissantes de s’exercer dans les événements actuels de l’Église chinoise. Récemment, alors que les prêtres de l’aire clandestine cherchaient à partager rencontres de prière et catéchèse avec les prêtres des communautés officielles, il est arrivé que d’autres prêtres, responsables eux aussi de communautés, s’opposent à ce sujet, déclarant vouloir s’en tenir à la ligne indiquée par Zen plutôt qu’à celle indiquée par le Pape et par Rome.
L’initiative du cardinal salésien qui s’offre comme garant de l’interprétation exacte d’un texte pontifical semble inusuelle et fruit d’une décision purement personnelle. En réalité, la Lettre du Pape aux Chinois contient, même sur les questions pastorales les plus brûlantes, des indications et des suggestions claires et accessibles sans glose à ses destinataires. Elle tient compte de tous les facteurs en jeu et respecte le critère catholique de ne jamais exclure aucun facteur.
Benoît XVI, dans le texte qu’il a signé le jour de la Pentecôte 2007, souhaite «un dialogue respectueux et ouvert» du Saint-Siège et des évêques chinois avec les autorités gouvernementales pour aider à dépasser les «graves limitations qui touchent le cœur de la foi et qui, dans une certaine mesure, étouffent l’activité pastorale». Aux évêques et aux communautés clandestines il ne donne pas l’ordre de sortir en bloc ni en toute hâte de la clandestinité, ni, moins encore, de persévérer dans cette option. Il écrit que «la clandestinité ne rentre pas dans la normalité de la vie de l’Église» et il indique ainsi de façon claire et paternelle, sans diktat, quelle est la direction à prendre. Et il le fait avec une immense patience, attendant ceux qui avancent lentement sur un chemin qui sera long et qui devra parfois être interrompu ou dévié. Il le fait aussi en manifestant une compréhension réelle et cordiale à l’égard de ceux qui on le plus souffert et qui, éventuellement, continuent à souffrir de la politique obtuse et brutale de fonctionnaires politiques locaux, et en tenant compte de tous les facteurs qui, dans des circonstances particulières, peuvent entraver ou rendre de fait impossible la marche vers l’objectif fixé. Mais il le fait sans hésiter sur la route à suivre, sans jamais renoncer au souhait que tous les évêques, jusqu’à présent en situation de clandestinité, «puissent être reconnus comme tels par les Autorités gouvernementales, avec aussi les effets civils».
Pour ce qui est de l’Association patriotique elle-même et des autres appareils de contrôle relevant de l’État, la Lettre pontificale répète que leur prétention de se situer «au-dessus des évêques mêmes et de guider la vie de la communauté ecclésiale ne correspond pas à la doctrine catholique». Ce qui est déclaré «inconciliable avec la doctrine catholique» n’est pas en soi l’existence de tels organismes mais leur finalité déclarée d’appliquer «les principes d’indépendance et d’autonomie, d’auto-gestion et d’administration démocratique de l’Église». Il est aussi fait dans la Lettre référence explicite à leurs «statuts, qui contiennent des éléments inconciliables avec la doctrine catholique». Mais nulle part n’est demandé ni conseillé le démantèlement systématique et immédiat de l’Association patriotique. Reste ainsi ouverte la possibilité d’une reconversion progressive qui, à travers une révision de ses statuts, transforme celle-ci en un instrument de contact entre l’Église et le régime politique.
Pour le moment, la Lettre fournit des indications claires sur la façon de se comporter à l’intérieur des communautés catholiques dans les rapports avec les autorités civiles. Le Pape répète qu’il est licite de concélébrer avec des évêques et des prêtres qui sont en communion avec le Pape, même s’ils sont reconnus par les Autorités civiles et s’ils maintiennent des relations avec des organismes voulus par l’État et étrangers à la structure de l’Église, pourvu que la reconnaissance et les relations ne comportent pas la négation de principes de foi et de communion ecclésiastique, auxquels on ne peut renoncer». Pour le Pape il est clair que la sauvegarde de la foi et de la communion sacramentelle ne s’oppose pas, en soi, au dialogue avec les différents niveaux du pouvoir politique et qu’«on ne voit pas de difficultés particulières à accepter la reconnaissance concédée par les Autorités civiles, à condition que cela ne comporte pas la négation des principes de la foi et de la communion ecclésiastique, auxquels on ne peut pas renoncer». La Lettre reconnaît cependant que, sur le plan concret, les procédures de reconnaissance impliquent presque toujours l’adhésion à des gestes et à des formules qui peuvent créer des problèmes de conscience pour les catholiques. «Je comprends», écrit le Pape, «que, dans ces conditions et dans ces circonstances variées, il soit difficile de déterminer le choix correct à faire». La solution provisoire conseillée pour affronter de semblables contingences concrètes manifeste dans son ensemble la volonté de communion – comprise comme partage collégial des responsabilités – qui anime l’entière Lettre pontificale. Benoît XVI écrit que «le Saint-Siège, après avoir affirmé de nouveau les principes, laisse la décision à chaque évêque, qui, ayant écouté son presbyterium, est mieux en mesure de connaître la situation locale, d’évaluer les possibilités concrètes de choix et d’envisager les éventuelles conséquences au sein de la communauté diocésaine». Le Pape envisage aussi la possibilité que la décision finale n’ait pas l’accord de tous les prêtres et de tous les fidèles. Il souhaite que, dans ce cas, elle soit malgré tout accueillie, «même si c’est douloureusement, et que se maintienne l’unité de la communauté diocésaine avec son pasteur».

La procession de la statue de la Vierge dans le sanctuaire marial de Sheshan (Shanghai), où, le 1<SUP>er</SUP> mai 2009, sont arrivées en pèlerinage plus de trois mille personnes [© Ucanews]

La procession de la statue de la Vierge dans le sanctuaire marial de Sheshan (Shanghai), où, le 1er mai 2009, sont arrivées en pèlerinage plus de trois mille personnes [© Ucanews]

Le temps des semailles
Tout compte fait, le choix de l’évêque An à Baoding semble être une pure et simple tentative d’application de la Lettre de 2007 du Pape. Tentative discutable comme toutes les tentatives humaines mais qui n’a rien à voir avec une trahison ou une volte-face. Les réactions que ce choix a suscitées font donc penser que le vrai problème n’est peut-être pas l’initiative prise par An mais, pour plus d’un, à l’intérieur comme à l’extérieur de la Chine continentale, la Lettre du Pape elle-même.
La missive de Benoît XVI suggère les attitudes et façons de penser qui, avec le temps, peuvent favoriser la réconciliation à l’intérieur de l’unique Église catholique chinoise, après des années de souffrance, de conflits, d’accusations et de méchancetés entre frères dans la foi. Sa publication a d’elle-même mis hors jeu des lieux communs manichéens et des préjugés enracinés comme celui – désormais grotesque – selon lequel il existerait en Chine deux Églises, l’une fidèle au Pape et l’autre au régime politique. Et il peut alors arriver que se déclenchent des mécanismes d’élimination et d’obscurcissement. Tentatives, peu dissimulées même, de faire glisser la Lettre du Pape dans le cône d’ombre ou d’en présenter une lecture sélective qui exclut les lignes maîtresses du document et qui insiste de façon obsessionnelle sur de simples phrases soigneusement isolées de leur contexte, en jouant de façon un peu malhonnête sur les guillemets.
Ceux qui se livrent à de telles opérations n’ont généralement pas le courage de critiquer le Pape et laissent donc entendre que quelqu’un, à Rome éventuellement, a mal informé et conseillé le Souverain Pontife. Mais on risque de la sorte de laisser se perdre les graines de pardon et de réconciliation que la Lettre pourrait semer sur le chemin de l’Église de Chine et qui pourraient bourgeonner et aider, avec le temps, à faire cesser les conflits déchirants et à guérir les blessures encore ouvertes. Ce n’est pas un hasard si le cardinal Tarcisio Bertone, dans la lettre récente qu’il a adressée aux prêtres chinois à l’occasion de l’année sacerdotale – et qui a été publiée par l’agence Fides le 17 novembre dernier – a de nouveau présenté la réconciliation à l’intérieur de la communauté catholique et le dialogue respectueux et constructif avec les autorités civiles comme les «lignes directrices» de la Lettre pontificale de 2007. «Deux ans seulement après la publication de la Lettre pontificale», a ajouté le secrétaire d’État, «il ne semble pas que soit venu le moment de faire des bilans définitifs. Reprenant les paroles du grand missionnaire de la Chine, le père Matteo Ricci, je crois que l’on peut dire que c’est encore le temps des semailles plus que celui de la récolte». Quelque chose que, peut-être, l’évêque d’An et les sœurs de Baoding avaient deviné grâce à leur sensus fidei, sans avoir besoin d’interprètes.


Italiano Español English Deutsch Português