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CHINE
Tiré du n° 05 - 2004

Après les récents essais d’“accord tacite” entre Pékin et le Saint-Siège sur les nominations des évêques

Élus “démocratiquement”. Et pourtant valides


Pour la première fois depuis la naissance de la République populaire, deux évêques ont été ordonnés avec l’assentiment du gouvernement, après l’annonce publique de leur nomination par le Pape. Mais les ordinations épiscopales qui ont eu lieu sans le mandat pontifical sont aussi valides du point de vue sacramentel. C’est ce qu’avait déjà révélé une étude sur cette délicate question, menée par les dicastères vaticans dans la première moitié des années Quatre-vingt…


par Gianni Valente


Sur le long chemin des rapports entre l’Église catholique et la Chine, les vrais changements ont souvent eu lieu discrètement, sans fanfare. Deux récents épisodes enregistrés sans bruit par les agences de presse spécialisées pourraient marquer le début silencieux d’une phase nouvelle dans la situation anomale que vit l’Église catholique de Chine depuis presque cinquante ans.
L’ordination épiscopale de Jean Baptiste Tan Yanquan, évêque coadjuteur du diocèse de Guanxi, 21 janvier 2003

L’ordination épiscopale de Jean Baptiste Tan Yanquan, évêque coadjuteur du diocèse de Guanxi, 21 janvier 2003

Le 6 janvier dernier, pour la première fois depuis la naissance de la République populaire de Chine, l’ordination d’un évêque, Pierre Feng Xinmao, trente-neuf ans, nommé coadjuteur du petit diocèse de Hengshui, dans la province de l’Hebei, a été reconnue par le gouvernement et a reçu en même temps l’approbation publique et déclarée du Saint-Siège. Le jeune évêque, choisi par les prêtres du diocèse, avait annoncé aux fidèles avant son ordination la nomination qu’il avait reçue de la part de Jean Paul II. L’ordination (elle aussi précédée de la nomination et de l’approbation pontificale, rendues publiques par le candidat) de Zhang Xiawang, trente-huit ans, à la charge d’évêque coadjuteur du diocèse de Jinan, dans la province de Shandong, suggère qu’il pourrait ne pas s’agir d’un épisode isolé.
À partir de 1958, date où le régime maoïste imposa l’élection “démocratique” des évêques catholiques, sous le contrôle de l’Association patriotique – pro-gouvernementale – des catholiques chinois, les ordinations épiscopales reconnues par le gouvernement eurent lieu sans l’approbation pontificale ou sans que cette dernière fût rendue publique. Pendant de longues années, sous la pression du pouvoir civil, des formules ad hoc furent insérées et d’autres supprimées dans les rites de consécration pour signifier que les ordinations épiscopales étaient opérées en dehors de la juridiction du Siège apostolique et qu’il n’y avait aucune “interférence vaticane” dans la vie religieuse du pays, conformément à la constitution de 1982, selon laquelle «les groupes religieux et les activités religieuses ne sont sujets à aucune domination étrangère».
Au début des années Quatre-vingt, les ordinations épiscopales chinoises sous contrôle gouvernemental, dans lesquelles étaient consacrés sans approbation de Rome des prêtres qui d’habitude sortaient des prisons et des camps de travail de la Révolution culturelle, firent l’objet d’une étude détaillée de la part du Vatican. Un approfondissement utile aujourd’hui encore pour comprendre en quoi consistait réellement le rapport, problématique, entre le Saint-Siège et l’ex-Céleste Empire.
À cette époque, les éclaircissements apportés par le Saint-Siège offrirent la solution définitive à un problème fort sérieux. Certains représentants catholiques de l’aire clandestine chinoise, laquelle refusait tout compromis avec le régime, émettaient des doutes non seulement sur la légitimité mais aussi sur la validité des consécrations épiscopales privées de l’approbation pontificale. Une perplexité qui était alors partagée par de célèbres observateurs catholiques de l’Église en Chine.
Soutenir que ces consécrations épiscopales n’étaient pas valides signifiait invalider aussi les ordinations sacerdotales administrées par ces évêques et donc retirer efficacité et valeur aux sacrements de l’eucharistie et de la confession célébrés dans les églises que le régime commençait à rouvrir après les années terribles de la Révolution culturelle. Un trésor de grâce et de réconfort chrétien dans lequel beaucoup de fidèles pouvaient finalement puiser avec une certaine facilité, après avoir subi les persécutions.
L’église Dongtang à Pékin. Ci-dessous, une messe du matin dans la Cathédrale de Fuzhou

L’église Dongtang à Pékin. Ci-dessous, une messe du matin dans la Cathédrale de Fuzhou


Demandes de réconciliation
Ce qui mit en mouvement les dicastères vatican, ce fut la demande confidentielle que fit à Rome un évêque chinois, ordonné au début des années Quatre-vingt sans mandat pontifical, d’être reconnu comme évêque légitime par le Siège apostolique. La Congrégation de Propaganda Fide soumit la question à Jean Paul II et reçut du Pape la charge d’étudier le cas pour «éclaircir les doutes qui pourraient éventuellement subsister au sujet de la validité de l’ordination, vu que l’évêque consacrant principal et les deux évêques co-consacrants [étaient] illégitimes». En 1983, la demande d’éclaircissement doctrinal parvint à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui a compétence en ce domaine. Suivant les indications du regretté Mgr Jean Jérôme Hamer, alors secrétaire du dicastère vatican, puis devenu cardinal, en guise d’“instruction” fut rédigé un riche dossier dans lequel beaucoup de consulteurs de l’ex-Saint-Office se déclarèrent en faveur de la validité des ordinations en question.
C’est aussi sur la base de ce travail qui se conclut en 1985, que le Saint-Siège continua par la suite, passant outre tout doute raisonnable (ou non), à considérer comme pleinement valides les ordinations épiscopales en Chine.

Les conditions essentielles
Mais qu’est-ce qui permet de déterminer la validité d’une ordination épiscopale? Confrontant l’enseignement de l’Église avec les informations sur la complexe situation chinoise, informations que l’on tire, entre autres, de ses propres archives, l’étude réalisée par les dicastères vaticans avait pour but de vérifier si les ordinations chinoises “patriotiques” répondaient aux conditions essentielles requises pour la validité sacramentelle. À commencer par le sujet consacrant et le sujet consacré.
L’Église catholique reconnaît et réserve le pouvoir d’ordonner de nouveaux évêques à tous les évêques qui ont été validement consacrés, même si leur consécration valide est considérée comme illégitime parce qu’elle n’est pas pourvue d’un mandat ou de l’approbation de l’évêque de Rome. Seuls ceux qui ont reçu la succession apostolique valide peuvent à leur tour la transmettre. À cette occasion, pour toutes les ordinations illégitimes qui eurent lieu entre 1958 et 1982 (c’est-à-dire sans mandat ou approbation pontificale), la liste des évêques consacrants fut passée en revue et minutieusement examinée pour vérifier qu’il n’y avait pas eu d’interruption dans la succession apostolique.
Comme on le savait en Occident à travers les informations que donnaient les missionnaires restés à Hong-Kong jusqu’en 1964, presque toutes les ordinations étaient conférées par des évêques consacrants légitimes qui, sans adhérer à l’idée d’une Église chinoise “indépendante” séparée de Rome, acceptaient souvent de consacrer les évêques élus “démocratiquement” pour assurer la continuité de la structure ecclésiale dans des temps qui se faisaient toujours plus difficiles. Après la Révolution culturelle, laquelle avait réduit à néant pendant des années toute expression publique de la vie chrétienne, les ordinations reprirent en 1979, administrées cette fois aussi par des évêques illégitimes. Tous les prêtres consacrés évêques présentaient les conditions essentielles requises pour que la consécration fût considérée comme valide, à savoir le baptême valide et le sexe masculin.
Des fidèles en prière près du sanctuaire de She Shan, près de Shanghai, à l’occasion du pèlerinage annuel du 24 mai

Des fidèles en prière près du sanctuaire de She Shan, près de Shanghai, à l’occasion du pèlerinage annuel du 24 mai


Rituels “retouchés”. Mais pas sur l’essentiel
Pour qu’une ordination épiscopale soit valide, le rite de consécration doit comporter, dans la substance et dans la forme, des éléments essentiels. La Constitution apostolique Sacramentum ordinis de Pie XII (1947) a indiqué comme éléments essentiels l’imposition des mains par l’évêque consacrant sur l’élu et la récitation de ce passage de la “Praefatio” (la prière de consécration) explicitement défini comme essentiel et demandé ad valorem: «Comple in sacerdote tuo ministerii tui summum, et ornamentis totius glorificationis instructum coelestis unguenti rore sanctifica» («Donnez en plénitude à votre prêtre toutes les grâces nécessaires pour qu’il vous serve; et l’ayant orné de toutes les splendeurs de la sainteté, sanctifiez-le par la rosée céleste de l’onction»).
Toutes les informations données et les reconstitutions opérées par les témoins oculaires, transmises par les missionnaires de Hong-Kong, lesquels confirmaient unanimement qu’avant comme après la Révolution culturelle toutes les consécrations “patriotiques” chinoises s’étaient déroulées selon le Pontifical romain – celui des vieilles éditions en latin –, furent minutieusement examinées. Mais elles confirmaient aussi les pressions exercées par le milieu pour que certaines parties du rituel soient omises ou manipulées. Suppression et manipulation qui visaient à ce que les évêques consacrés expriment leur loyauté à l’égard du gouvernement et à ce que disparaissent les références à tout lien juridique avec le Siège apostolique.
Ces transformations apportées au rituel furent soumises par les bureaux compétents du Vatican à une analyse rigoureuse. L’Association patriotique des catholiques chinois avait, en particulier, imprimé en 1979 un livret intitulé Explications du Rite de la messe solennelle pour l’ordination d’un évêque et une revue de l’Église en Chine illustrait le texte en publiant les photos des nouvelles ordinations épiscopales. Ce livre permettait de voir les changements envisagés par l’Association patriotique concernant certaines formules et certains rites du Pontifical romain – celui qui était antérieur à la réforme de Paul VI et qui était toujours en usage dans les liturgies d’ordination épiscopale. Une lecture synoptique minutieuse permettait facilement d’identifier une par une les variations prévues.
Dans les formules initiales, la lecture du mandat apostolique était remplacée par la lecture de l’acte d’élection “démocratique” par le peuple et le clergé diocésain. La formule du serment prévoyait l’omission de toute référence au pape et à l’obligation d’obéissance du nouvel évêque au Siège apostolique ainsi que des formules de teneur nationaliste ou patriotique («J’assure que j’amènerai tout le clergé et tous les fidèles de mon diocèse à obéir au gouvernement, à aimer la Patrie et à observer ses lois») et d’autres par lesquelles le futur évêque s’engageait à maintenir «les principes de l’indépendance, de l’auto-détermination et de l’auto-gestion de l’Église». Parmi les interrogationes adressées au candidat à l’épiscopat devait être omise celle par laquelle celui-ci s’engageait à soutenir, enseigner et garder «les décrets du Siège saint et apostolique» et celle dans laquelle il déclarait son obéissance «à l’apôtre Pierre, au Pape régnant, son vicaire, et à ses successeurs». Il était même prévu que fût omise la promesse d’avoir particulièrement soin des pauvres, dans la mesure où elle semblait une attaque contre le régime communiste qui ne pouvait supporter l’idée qu’il y eût des pauvres dans un pays où le système socialiste était en vigueur. Il était en revanche projeté d’introduire une formule nouvelle par laquelle le nouvel évêque s’engageait à «se libérer totalement de tous les contrôles de la Curie romaine» et à marcher avec décision sur la route de l’indépendance, de l’auto-détermination et de l’auto-gestion de l’Église.
Le projet d’introduire cette dernière formule dans le rituel était l’expression la plus explicite de la volonté de supprimer tout lien de juridiction entre les évêques chinois et le Saint-Siège.
Par ailleurs, cette étude attentive des textes permit justement de confirmer que toutes les suppressions et insertions arbitraires, même si elles étaient toutes effectivement opérées durant la célébration concrète, ne concerneraient de toutes façons, bien que l’absence de mandat pontifical rendît l’ordination illégitime, que des textes et des aspects non essentiels au regard de la validité du sacrement. Ce n’est pas un hasard si, en 1981 déjà, le secrétaire d’État lui-même, le cardinal Agostino Casaroli, avait déclaré en prévoyant peut-être la possibilité d’une solution positive au problème des ordinations épiscopales dans l’Église de Chine, que «ce qui est illégitime, peut, à certaines conditions, être légitimé».
Pour les formules et les gestes qui accompagnaient l’imposition des mains, comme le montre la copieuse documentation des publications de l’Église en Chine, les ordinations sans mandat pontifical des évêques chinois suivaient à la lettre le Pontifical romain. Ainsi donc, elles conservaient intacts, dans la forme comme dans la substance, tous les éléments nécessaires pour la validité la consécration.
Un moment de la fête devant l’église de Niupidi, dans le village de Saint Joseph, dans la province sud-orientale du Guangdong

Un moment de la fête devant l’église de Niupidi, dans le village de Saint Joseph, dans la province sud-orientale du Guangdong


Quod facit Ecclesia
L’autre condition nécessaire pour la validité de l’ordination épiscopale est que soit présente dans la consécration l’intention de faire ce que fait l’Église quand elle consacre un évêque («intentio faciendi quod facit Ecclesia»).
C’est sur ce point que se concentraient les objections de certains spécialistes qui, en Chine continentale ou à Hong-Kong, émettaient des doutes sur la validité des ordinations chinoises. Selon certains d’entre eux, les déclarations explicites d’indépendance par rapport à la juridiction du Saint-Siège et la suppression de toute référence au lien avec l’évêque de Rome, sans compromettre la validité des consécrations du point de vue de la substance et de la forme, contrevenaient à la condition nécessaire de consacrer les nouveaux évêques avec l’intention de faire ce que fait l’Église quand elle administre les ordinations épiscopales. C’est surtout dans l’aire clandestine de l’Église chinoise, menée par des évêques ordonnés légitimement et échappant au contrôle de l’Association patriotique, que se développaient facilement les doutes sur la validité des ordinations “patriotiques”.
Mais la confrontation entre les informations apportées par différents témoins – connues d’ailleurs de la presse – et la doctrine établie, a permis de dissiper les doutes sur la validité des ordinations chinoises et d’exclure la possibilité d’un “défaut d’intention”.
Sur la question de l’intention, qui sortait du domaine vérifiable des faits pour entrer dans celui de la subjectivité du consacrant et du consacré, on pouvait rappeler, comme le faisaient certains experts consultés lors de la vérification faite au Vatican, un passage de la Lettre apostolique de Léon XIII Apostolicae curae (1896) sur le problème de la non-validité des ordinations anglicanes. Il est rappelé dans ce passage le principe en vertu duquel, dans les cas où l’Église ne peut juger de l’intention des personnes, on présume que le consacrant et le consacré ont entendu «faire ce que fait l’Église» quand elle consacre des évêques, si la forme et la substance demandées par l’administration du sacrement sont respectés. Dans le cas des ordinations chinoises, et à la différence des ordinations anglicanes, il y a eu imposition des mains et récitation de la préface consécratoire du Pontifical romain. La forme et la substance prescrites ont donc été respectées. Quant à l’intention de consacrer les évêques – bien qu’en dehors de la juridiction du Saint-Siège – comme de vrais pasteurs, selon ce que l’Église croit et professe au sujet du ministère épiscopal, elle était évidente.
Des fidèles à genoux au moment de la communion dans l’église Nantang, à Pékin

Des fidèles à genoux au moment de la communion dans l’église Nantang, à Pékin

Les consulteurs, dans les avis qu’ils ont donnés sur la base du matériel recueilli se sont souvent arrêtés sur ce point délicat. L’un d’eux a écrit, entre autres, que le serment ne semblait pas impliquer nécessairement, de la part du sujet, une rupture totale – ni même une séparation – avec la foi de l’Église telle qu’elle est professée dans le Credo. Credo que les évêques “patriotiques” eux-mêmes récitaient et faisaient réciter durant la messe, confessant ainsi la même foi que l’Église de Rome.
Pour dissiper tout doute sur l’“affaire chinoise”, il suffisait ensuite de se référer à la doctrine catholique établie depuis des siècles et de comparer les cas chinois avec les cas semblables que propose l’histoire, même récente, de l’Église, et dans lesquels il est question de la validité des sacrements administrés par des ministres hérétiques ou schismatiques. De saint Grégoire le Grand au Concile œcuménique Vatican II, de saint Augustin et saint Thomas d’Aquin jusqu’au Code de droit canon promulgué en 1983, le Magistère et la théologie classique ont reconnu valides ces sacrements, lorsque les conditions nécessaires de validité étaient remplies, sur la base du fait qu’«à la vertu du Christ qui agit dans les sacrements ne fait pas obstacle l’indignité du ministre», comme le disait le pape Anastase II dans un passage de son œuvre cité par l’un des experts. Les sanctions canoniques qui frappent les évêques consacrés sans le consentement du Siège apostolique rendent nuls les actes de juridiction et de magistère administrés par ceux-ci. Mais elles ne peuvent invalider les actes sacramentaux administrés en vertu de la potestas ordinis ou potestas sanctificandi, laquelle est “irrévocable” dans la mesure où elle résulte d’un sacrement et qu’elle concerne la dimension ontologique de la personne. Pie XII lui-même, dans l’encyclique Ad Apostolorum Principis de 1958, avait établi à propos précisément du cas chinois que les évêques ordonnés illégitimement et leurs consacrants encouraient ipso facto l’excommunication «specialissimo modo» réservée au Saint-Siège. Mais il avait reconnu la validité de ces consécrations. Et puis, les personnes en question étaient-elles animées d’une réelle volonté de schisme?
Des fidèles en prière dans l’église Saint-Michel à Pékin

Des fidèles en prière dans l’église Saint-Michel à Pékin


Aucun schisme chinois
Aucun pape n’a jamais reconnu dans l’histoire tourmentée de la catholicité chinoise la consommation d’un véritable schisme. Dans l’incertitude, due entre autres à la rareté des informations, seul Jean XXIII était allé, dans son célèbre discours au Consistoire du 15 décembre 1958, jusqu’à conjurer le «très grave danger d’un funeste schisme», mais il n’avait pas été plus loin. Entre temps, des témoins oculaires avaient apporté sur les ordinations épiscopales de précieux éclaircissements qui avaient été accueillis avec intérêt au cours de l’étude menée par le Vatican. Il y avait, en particulier, le témoignage de nombreux évêques qui disaient avoir prononcé les formules “indépendantistes” «seulement avec les lèvres, mais non avec le cœur». Beaucoup déclaraient qu’ils avaient veillé à “corriger” ces formules, avec l’accord de l’évêque consacrant, en omettant par une feinte distraction au moment où ils les prononçaient, toutes les expressions qui indiquaient une volonté explicite d’indépendance par rapport au Siège apostolique. On racontait, en guise d’exemple, l’histoire d’un évêque «qui ne voulait pas prêter serment et qui ne le prêta pas. Il arriva avec l’évêque consacrant au compromis suivant: “Acceptez-vous le contrôle d’une Église étrangère? ” lui fut-il demandé. Il demanda alors ce que signifiait “étrangère”. L’évêque qui l’interrogeait reprit: “Acceptez-vous le contrôle et la direction de Taiwan?”». Dans d’autres cas, on ne savait pas ce qu’avaient dit l’évêque consacrant et l’évêque consacré, parce qu’au moment du serment l’organiste de l’Église s’était mis à jouer très fort pour empêcher que l’on entendît les mots qu’ils prononçaient.
Au début des années Quatre-vingt, déjà, les lettres de plus en plus nombreuses que les évêques illégitimes envoyaient à Rome pour demander à être secrètement légitimés par le Saint-Siège, confirmaient qu’il fallait, pour juger toute leur histoire, tenir compte des circonstances concrètes dans lesquelles celle-ci s’était déroulée. Tous se déclaraient absolument certains de la validité de l’ordination qu’ils avaient reçue. Tous assuraient qu’ils avaient accepté l’ordination sans mandat pontifical dans le but de garantir dans ces circonstances la continuité de l’Église en Chine, dans l’attente de temps meilleurs.
On savait dans les milieux de la Congrégation de Propaganda Fide qu’arrivaient au Saint-Siège, par l’intermédiaire de personnes de confiance, des lettres écrites en latin par des évêques âgés qui demandaient pardon au Saint-Père, qui suppliaient que soit reconnue leur pleine communion avec le Successeur de Pierre et qui expliquaient les raisons de leur acte par le désir de sauver ce qui pouvait être sauvé et de ne pas laisser le troupeau sans pasteurs.
Dans ce cadre, l’étude effectuée par les dicastères vaticans, tout en laissant la décision à l’autorité du Pape, parlait en faveur de la réintégration des évêques qui le demandaient dans le plein exercice de leur ministère épiscopal et prenait comme critère la «“suprema lex” qui est le salut des âmes». La collaboration qu’avaient dû apporter ces évêques aux organismes “patriotiques” contrôlés par le Parti communiste n’était pas présentée comme un fait excluant d’emblée la réintégration. Déjà beaucoup de spécialistes du cas chinois et beaucoup de personnes qui fréquentaient la Chine dans les année Quatre-vingt déclaraient, à l’encontre de l’idée reçue, qu’il n’était pas juste d’identifier l’Association patriotique nationale, qui était un organisme de contrôle politique, avec la partie de l’Église qui, en Chine, acceptait ou supportait un tel contrôle. Et même beaucoup de spécialistes de la question ecclésiale chinoise estimaient déjà alors injuste la dénomination d’“Église patriotique”, vu que les évêques, les prêtres et les fidèles, tout en étant enregistrés par l’Association patriotique, étaient et se professaient fidèles à la foi catholique et se sentaient en pleine communion avec le pape. L’étude du Vatican reconnaissait qu’après la Révolution culturelle il existait une relative liberté de mouvement, tolérée parfois à l’intérieur même de l’Association patriotique. Il ne semblait pas que la vie de l’Église en Chine fût assez politisée «pour ne pas permettre des espaces de liberté intérieure et extérieure aux évêques eux-mêmes».
En effet, à partir du début des années Quatre-vingt, un nombre croissant d’évêques ordonnés avec le système “démocratique” commencèrent – après qu’ils en eurent fait la demande et qu’eut été examinée leur situation personnelle et évaluée la validité leur ordination, en fonction de sa conformité aux normes dont nous avons parlé – à être reconnus comme des évêques légitimes par le Siège apostolique. Mais 30Jours traitera de ce sujet une autre fois.


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