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Tiré du n° 04 - 2003

Dans ton ventre l’amour s’est rallumé


Méditation de don Giacomo Tantardini Sanctuaire San Leopoldo Mandic - Padoue Mercredi 18 décembre 2002


par Giacomo Tantardini


Adoration des bergers,  Caravage, 1609, Musée national de Messine

Adoration des bergers, Caravage, 1609, Musée national de Messine

Souvent, quand je dois parler, me reviennent à l’esprit les mots de Péguy qui sont si actuels: «On nous en a tant dit, ô reine des apôtres / Nous n’avons plus de goût pour la péroraison. / Nous n’avons plus d’autels que ceux qui sont les vôtres, / Nous ne savons plus rien qu’une simple oraison». Ce soir, mes paroles, le devoir de parler, l’obéissance donc à ce devoir voudraient seulement réveiller en vous et en moi cette prière simple, ce «viens», «oui, viens, Jésus». On ne peut parler au Seigneur que sous la forme d’une demande. C’est là l’une des plus belles choses que le Seigneur, dans l’expérience de grâce que nous faisons, nous a donné d’expérimenter. Un enfant ne démontre pas que sa mère est là. Lorsqu’il dit «maman», il reconnaît la présence de celle-ci et lui demande de l’aimer. Ce n’est pas une démonstration. On ne démontre pas une présence. Quand on la reconnaît, on demande. Ce n’est pas pour rien que le Credo chrétien est une prière. Au fond, on peut seulement dire au Seigneur: «Viens», «oui, viens».
Je pensais à cela les jours derniers: combien de fois avons-nous dit «que Ta volonté soit faite» comme une réponse de notre part! Mais l’homme ne peut dire «que Ta volonté soit faite» que comme une demande. «Que Ta volonté soit faite» est une demande. Même lorsque nous prononçons, nous, ces mots, ce n’est pas une réponse de notre part, c’est une demande. Surtout dans les moments où il est comme impossible que monte du cœur des mots de cette sorte. «Que Ta volonté soit faite» est une demande. Qui se produit en nous. Mais le sujet, ce n’est pas nous, ce n’est pas nous qui faisons Sa volonté. Que Ta volonté soit faite en moi, qu’elle soit faite par Toi, que par Toi soit faite Ta volonté en moi. Le Notre Père est une prière.

Je voudrais maintenant vous parler de quelque chose qui a été pour moi une découverte, la semaine dernière, alors que j’assistais à la messe et que j’écoutais parler un prêtre, un bon prêtre. J’ai repensé, à l’improviste, à mon vieux curé, celui grâce auquel je suis entré, enfant, au séminaire (après la quatrième, parce que mon père et ma mère n’ont pas voulu me laisser y entrer après le CM2). Le prêtre grâce auquel je suis entré était vraiment un bon prêtre, un homme simple et très concret. Et je pensais que tous les propos qu’il tenait, étaient, au fond, moralisants. Au fond, il ne parlait que des commandements. De ce qu’il fallait faire. Et pourtant tout ce qu’il disait était catholique. Alors que, me disais-je, tout ce qu’est en train de dire ce prêtre est gnostique. La gnose – ou gnosticisme – est la grande hérésie que Saint Jean, le disciple que Jésus aimait, définit ainsi: «L’Antéchrist est celui qui nie que le Fils de Dieu, Jésus, soit venu dans la chair». Tout ce que disait mon vieux curé renvoyait à l’humanité de Jésus. Et donc aux sacrements. Tout! Et, au contraire, tout ce qui se dit aujourd’hui renvoie à des idées. À des idées chrétiennes, parce qu’elles se réfèrent à des contenus chrétiens. Mais ce sont des idées, ce sont des mots chrétiens dans lesquels il n’y a plus l’humanité de Jésus.
L’humanité de Jésus. L’homme créé par Dieu avait péché. Et il y avait eu beaucoup de siècles d’attente du Messie. Puis, il y a deux mille ans, il est venu. L’humanité de Jésus est quelque chose de réel, quelque chose qui a commencé à exister à Nazareth, quand a eu lieu sa conception. La Vierge a dit : «Me voici», et le Fils éternel de Dieu est devenu chair. À ce moment, il a commencé à être homme, à ce moment seulement, avant, il n’était que Dieu. À ce moment, il a commencé à être aussi homme. L’humanité de Jésus veut dire que sa mère l’a porté pendant neuf mois dans son ventre. Jésus ne serait pas véritablement un homme s’il n’avait pas été soumis au temps et à l’espace. Sujet au temps et à l’espace: neuf mois dans le petit ventre de Marie. Et pendant ces neuf mois, la Vierge regardait son ventre qui grossissait. Alvus tumescit virginis. Il a été soumis au temps. Et puis, l’accouchement admirable, plein d’émerveillement, à Bethléem. Talis decet partus Deum. Et puis l’enfant est devenu grand, à douze ans, il répondait déjà aux docteurs de la loi et les interrogeait. Et puis, après trente ans de silence et de travail à Nazareth, les miracles, ses disciples. Puis la mort. Et la mort a été une mort réelle. Et la résurrection ne coïncide pas avec la mort, mais elle a eu lieu le matin du troisième jour après la mort. Le matin de Pâques. La perversion de la gnose est de dire que ces distinctions réelles n’existent plus. N’existent plus! La mort est vie, la douleur est bonheur, le péché est grâce. Non! Le péché est péché. Le péché mortel provoque la mort de l’âme et si l’on meurt en état de péché mortel, on va en enfer. Tout est confié à la miséricorde de Dieu qui est et reste mystère. Et ainsi en ayant de l’espoir pour chaque homme, c’est-à-dire en priant, la sainte Église dit que si l’on meurt dans la grâce de Dieu, on va au Paradis, mais que si l’on meurt dans le péché mortel, on est précipité dans la seconde mort, qui est sans fin, dans la mort éternelle.
C’est comme si tout cela n’existait plus. Les mots ne renvoient plus à ces choses simples, c’est-à-dire ne renvoient plus à l’humanité de Jésus. Péguy à la question: qu’est-ce qu’un enfant chrétien par rapport à un enfant non chrétien? donnait cette réponse: «Un enfant chrétien est un enfant aux yeux duquel l’enfance de Jésus a été présentée des milliers de fois». L’histoire de Jésus a été présentée. Non pas des idées, mais l’histoire de Jésus. Et les questions, nous ne devons pas les susciter nous, de façon artificielle. C’est la réalité qui éveille les questions dans le cœur. C’est la vie qui pose les questions. Et la réponse à toutes les questions que la vie pose n’est pas une explication chrétienne que nous donnons, nous. La réponse à toutes les questions que la vie pose, c’est l’humanité de Jésus. La réponse à la douleur, c’est Jésus et celui-ci crucifié. Le Vendredi Saint, il est mort sur la croix. Et la nuit précédente, cette nuit du Jeudi Saint (noctem cruentam crimine/ cette nuit ensanglantée par ce si grand crime), cette nuit-là, il a souffert au point qu’il transpirait des gouttes de sang dans le jardin de Gethsémani. Et puis, le procès, la flagellation, le couronnement d’épines. Son humanité! Non pas la réponse chrétienne que nous inventons, nous. Son humanité, regarder Son humanité est réponse à la douleur. Et ainsi le mystère reste intact, et dans notre cœur, si le Seigneur le touche, reste accomplie l’attente et accomplie toute réponse.
Bref, il y a cinquante ans, les paroles que l’on entendait à l’église, même les plus moralisantes, renvoyaient à l’humanité de Jésus. Elles renvoyaient à une histoire, elles renvoyaient à un homme qui avait été conçu dans le ventre de sa mère qui s’appelait Marie, qui avait été porté pendant neuf mois dans son sein, qui avait été mis au monde, qui avait été allaité (comme nous l’avons entendu tout à l’heure: Lactas sacrato ubere), allaité comme tous les enfants, qui avait commencé à sourire comme tous les enfants sourient à leur père et à leur mère. Cet enfant, devenu grand, avait vécu ces trois ans en regroupant autour de lui une petite compagnie. Cet homme est tout ce que le Mystère a voulu nous révéler et nous communiquer. Cet homme est Dieu. «De sa plénitude nous avons tout reçu et grâce pour grâce». C’est ce que dit Jean, le disciple que Jésus aimait. Et saint Paul: «En Lui habite corporellement la plénitude de Dieu». Tout ce que Dieu a voulu nous manifester et nous donner est dans son humanité.
«Tabernaculum eius, caro eius», écrit saint Augustin. La demeure de Dieu est Sa chair. Son humanité: la façon dont il regardait, dont il demandait, dont il s’étonnait, dont il pleurait, dont il se fatiguait. Comme le jour où il s’est assis près du puits de Jacob, cet après-midi-là, quand cette femme, qui n’était certainement pas la femme la plus morale du village, est venue puiser de l’eau. Tout ce que Dieu est, que le Mystère éternel et infini est, nous le connaissons et nous en jouissons à travers Son humanité. En embrassant, en regardant Son humanité. C’est si vrai que le soir du Jeudi Saint, alors que Philippe (Philippe est un apôtre sympathique parce qu’il pose beaucoup de questions. Comme tous les apôtres qui sont plus sympathiques les uns que les autres) lui demandait: «Montre-nous le Père et cela nous suffit», Jésus, le regardant, lui a répondu: «Philippe, voilà si longtemps que je suis avec toi et toi, tu ne me connais pas encore? Qui m’a vu a vu le Père». Qui m’a vu. Non pas dans une vision mystique. Qui a vu de ses yeux, de ses yeux de chair, qui a vu cet homme a vu le Père.
Bref, la semaine dernière, c’est comme si j’avais saisi pour la première fois… Et les paroles de saint Jérôme me sont revenues à l’esprit: «Ingemuit totus orbis, et arianum se esse miratus est». Le monde entier s’est aperçu avec effroi qu’il n’était plus chrétien. Le monde s’est aperçu qu’il n’était plus chrétien avec tous ses mots chrétiens, qu’il n’était plus chrétien avec toutes ses idées chrétiennes. S’il n’y a plus de référence immédiate, si les mots ne renvoient plus immédiatement à Son humanité, il n’y a plus de christianisme. Il n’y a plus cette histoire merveilleuse. Il n’y a plus ni création ni grâce, tant il est vrai que les gens confondent la création et la grâce. Il n’y a plus ni péché ni salut, tant il est vrai que les gens confondent le péché et le salut et arrivent à dire que l’on trouve dans le péché le salut. Tout est confondu parce qu’il n’y a plus de renvoi immédiat à Son humanité, à Son histoire.

Je parlerai maintenant de trois choses que les chants de Noël que nous avons entendus ce soir ont suggérées.
1. La première, avant tout, contre laquelle combat la gnose, la grande hérésie gnostique, c’est le fait que la créature est bonne et qu’elle a été blessée par le péché originel. Le péché originel. Tous les chants que nous avons écoutés (tous!) parlent du péché originel. Quod Eva tristis abstulit. Ils disent qu’Ève est devenue triste. La compagnie était si belle, le Paradis terrestre était si beau. C’était une surprise continuelle. Elle est devenue triste, Ève, en péchant, et elle nous a fait tomber dans cette condition qui n’est plus belle. Reste le cœur qui attend, mais la condition n’est plus belle. Et à la place de la surprise, il y a la préoccupation. C’est là l’une des choses les plus belles que dit Péguy. Qu’a provoqué le péché originel? Il a fait de tout une préoccupation. Là où il y avait la surprise, il a fait de tout un effort, une préoccupation.
Mais au sujet du péché originel, je voudrais vous lire la strophe de l’hymne de Manzoni concernant Noël, parce qu’elle résume bien la condition de l’homme qui naît blessé par le péché. «Lequel jamais parmi ceux qui étaient nés à la haine». C’est ainsi que l’on naît après le péché d’Adam et Ève, on naît à la haine. «Vous êtes tous méchants», dit Jésus. «Lequel jamais parmi ceux qui étaient nés à la haine / Quelle était la personne, / Qui au Saint inaccessible / pouvait dire: pardonne?». Qui pouvait dire «pardonne» au Saint inaccessible qui n’avait pas de visage? Car, avant l’humanité de Jésus, le Mystère n’avait pas de visage que l’on pût regarder, avant cette humanité qui a pu être regardée, que Marie a regardée, que Joseph a regardée. Ces deux enfants qui ont les premiers vu Dieu, quand elle, Marie l’a mis au monde.
«Lequel jamais parmi ceux qui étaient nés à la haine / Quelle était la personne, / Qui au Saint inaccessible…». Inaccessible. Auquel on ne peut arriver. C’est si vrai que, dans un chant, il est dit en s’adressant à la Vierge Marie: «Tu es la porte ouverte du ciel», toi, Vierge, toi Sa mère, tu es porte grand ouverte, pervia, facile, sur Dieu. «Quelle était la personne, / Qui au Saint inaccessible / Pouvait dire: pardonne? / Faire un nouveau pacte éternel?». Qui pouvait faire une nouvelle alliance, par laquelle le Mystère, le Seigneur, le Créateur n’aurait plus suscité la peur? Car, après le péché, l’homme a peur de Dieu: «J’ai eu peur et je me suis caché». Qui pouvait redonner cette amitié grâce à laquelle le fait que Dieu s’approche ne fait plus peur, mais est une compagnie ineffable, une surprise continuelle?
«Faire un nouveau pacte éternel? / Au vainqueur infernal / Arracher sa proie?». À l’enfer qui avait triomphé arracher sa proie.
Telle est la condition de l’homme. On naît ainsi et personne n’aurait même pu dire «pardonne». On naît ainsi. Mais justement, parce qu’on naît ainsi, les chrétiens ne condamnent personne. Car cet homme qui est tombé sur des brigands en descendant de Jérusalem à Jéricho et qui est resté sur le bord de la route, à moitié mort, mortellement blessé, le Bon Samaritain – c’est Jésus – qui passait par là, ne l’a pas condamné. Il ne lui a pas dit: «Regarde dans quel état tu es». Non, il a eu pitié de lui. Si l’on n’accepte pas le péché originel, on se condamne réciproquement, on se fait chanter réciproquement. Il n’y a même pas cette compassion qu’un païen comme Cicéron disait être la vertu la plus humaine. On est né blessé, on est né méchant. À la longue, personne ne peut seul observer ne serait-ce que les lois écrites au fond du cœur que sont les dix commandements. On est de pauvres pécheurs. Le Bon Samaritain n’a accusé personne, il n’a grondé personne, il a pris dans ses bras, il a mis sur sa monture, il a essuyé et bandé les plaies de cet homme blessé.
2. Mais il est arrivé quelque chose. L’homme ne pouvait dire «pardonne», l’homme ne pouvait retourner, comme la pierre qui, tombée de la montagne, se trouve au fond de la vallée et ne peut retourner où elle était si une force amie, différente de la pierre, ne la tire vers le haut. Manzoni le dit encore dans son hymne. Mais il est arrivé quelque chose. Et cela, je le dis avec les mots de Dante. «Dans ton ventre l’amour ý’est rallumé». Il y a deux mille ans. Il y a deux mille ans! Non pas hors du temps. Mais à un moment du temps, à Nazareth, dans ce village d’extrême périphérie du peuple élu, dans la Galilée des gentils. À ce moment du temps, «dans ton ventre», dans le ventre de cette toute jeune femme appelée Marie, de cette femme (non de la Femme avec un F majuscule), dans le ventre de cette femme (ce ventre, cette chair, ce sang), «l’amour s’est rallumé». L’amour, la possibilité d’être pardonné, la possibilité de dire «pardonne», s’est allumé dans le ventre de cette jeune femme.
«Dans ton ventre l’amour s’est rallumé, / par la chaleur de qui». Non par les paroles que nous disons, non par les réponses que nous inventons, nous:«par la chaleur de qui». Chaleur, qu’y a-t-il de plus physique que la chaleur, que la chaleur qui s’est allumée dans le ventre de cette jeune femme? «Par la chaleur de qui, dans le calme éternel, / cette fleur ainsi est éclose». «Par la chaleur de qui» la vie refleurit, la vie qui avait été mortellement blessée, refleurit. «Par la chaleur de qui», par la chaleur de cette présence humaine qui a été conçue dans le ventre de Marie. «Dans ton ventre l’amour s’est rallumé, / par la chaleur de qui». En contact avec cette humanité, en contact visible… parce qu’après neuf mois elle en a accouché, par un accouchement merveilleux, un accouchement sans douleur. Alors que l’accouchement de toute femme, en conséquence du péché originel, est un accouchement dans la douleur, l’accouchement de cette femme, de cette jeune femme, a été un accouchement dans l’émerveillement. Comme est beau ce que l’Église appelle la virginité dans l’accouchement de Marie. Un accouchement qui remplissait d’émerveillement. C’est ainsi qu’elle en a accouché, par un accouchement qui l’a remplie elle, puis Joseph, puis les bergers… qui a rempli ceux qui l’ont vu d’émerveillement.
«Dans ton ventre l’amour s’est rallumé, / par la chaleur de qui, dans le calme éternel», au Paradis. Au Paradis, la vie fleurit pour toujours. Mais déjà ici, quand cette chaleur atteint le cœur, ne serait-ce que pour un instant, ne serait-ce qu’avec une goutte de cette rosée, ne serait-ce qu’avec une promesse de bourgeonnement de printemps… cette chaleur, atteignant les cœurs, fait bourgeonner. «Cette fleur est ainsi éclose».
Je voudrais vous faire entendre comment saint Pie X dans son catéchisme, dit ces choses d’une manière si simple et si belle. «De quelle façon», dit-il, «le Fils de Dieu s’est-il fait homme? Le Fils de Dieu s’est fait homme en prenant un corps et une âme, comme nous en avons nous, dans le sein très pur de la Vierge Marie, par l’opération du Saint-Esprit». Dieu a pris un corps et une âme comme nous en avons, nous. Le corps est venu entièrement de cette jeune femme. Entièrement de son sang et de sa chair. Un corps humain. Et puis encore: «Le Fils de Dieu, se faisant homme» (car cela est arrivé, cela s’est produit! Verbum caro factum est: il est arrivé que le Verbe éternel s’est fait chair. Cela s’est produit il y a deux mille ans à Nazareth), «A-t-il cessé d’être Dieu? Le Fils de Dieu, se faisant homme, n’a pas cessé d’être Dieu, mais restant vrai Dieu, il a commencé à être aussi vrai homme». Et enfin la dernière citation: «Jésus-Christ a-t-il toujours existé? Jésus-Christ comme Dieu a toujours existé; comme homme il a commencé à exister à partir du moment de l’Incarnation». Comme homme il a commencé à exister à partir du moment où Marie a dit oui.
3. Qu’arrive-t-il quand cette chaleur atteint le cœur de l’homme, la chaleur rallumée dans le ventre de cette jeune femme? «Dans ton ventre l’amour s’est rallumé». L’amour! La possibilité d’être pardonné. Jusqu’à cet instant, à ce moment, on entrevoyait seulement l’ombre, le reflet, l’attente de cet amour, de ce pardon. L’Ancien Testament est ombre, reflet, par rapport à la réalité. Quand la réalité arrive, l’ombre est mise respectueusement de côté. Quand il y a la présence qui aime, on regarde la présence, sans continuer à regarder la photographie. C’est ainsi qu’est le rapport entre la réalité humaine de Jésus et l’Ancienne Alliance. La réalité humaine de Jésus est l’imprévu et l’imprévisible accomplissement de toute attente. «Toutes choses ont été créées en vue de Lui».
Adoration des bergers,  Caravage, 1609, Musée national de Messine,

Adoration des bergers, Caravage, 1609, Musée national de Messine,

Quand cette chaleur atteint le cœur, qu’éveille-t-elle? Elle éveille dans le cœur l’espérance. Quand cette chaleur atteint le cœur de l’homme, elle émerveille le cœur de l’homme. La seconde vertu, l’espérance, indique cette émerveillement. Quand elle l’atteint, elle émeut le cœur de l’homme. Quand cette chaleur touche le cœur, l’homme, préoccupé, a un instant durant lequel il s’émerveille, durant lequel il n’est plus préoccupé. Pris par mille activités, pré-occupé (pré-occupé veut dire que le cœur est alourdi par mille choses), le cœur s’émerveille. Et le cœur retourne en arrière, il redevient ou devient comme celui d’un enfant. Quand cette chaleur atteint le cœur, elle éveille cette émotion, elle éveille cet émerveillement, elle éveille cette espérance. Cette espérance n’est pas le pur fait de savoir qu’après il y aura quelque chose. Cette espérance est le début de la floraison du Paradis sur terre. Le bourgeonnement est le début, il n’est pas la fleur complète. Le premier bouton est seulement le début. Quand cette chaleur touche le cœur, celui-ci bourgeonne. Cela s’appelle l’espérance.
Lisons Dante: «Ici, tu es pour nous», ici au Paradis, c’est saint Bernard qui prie, «la torche méridienne / de charité». Au Paradis, c’est différent de sur la terre. Parce que le Paradis est cet amour assuré pour toujours. Sur la terre tout est seulement en espérance, c’est-à-dire en émerveillement, un émerveillement réel mais précaire, et c’est si vrai qu’on peut le perdre. On peut perdre la grâce de Dieu. Et même, dit le dogme de la foi, sans une aide spéciale de la grâce, on ne peut rester dans la grâce. C’est donc un émerveillement précaire. Réel, très certain, mais précaire. «Les choses qui arrivaient, pendant qu’elles arrivaient, suscitaient de l’émerveillement, tant c’était Dieu qui les réalisait». C’est ce que dit Giussani lorsqu’il décrit sa vie. «Les choses qui arrivaient, pendant qu’elles arrivaient, suscitaient de l’émerveillement, tant c’était Dieu qui les réalisait, faisant de celles-ci la trame d’une histoire qui m’arrivait et qui m’arrive sous les yeux». Tissant ainsi la trame d’un chemin qui m’arrivait et qui m’arrive sous mes yeux.
«Ici, tu es pour nous la torche méridienne / de charité», ici tu es pour nous un soleil resplendissant de charité, splendeur de charité. La charité, c’est quand le désir du cœur est satisfait, quand ce que le cœur désire est donné. «En bas», sur la terre, «chez les mortels»: comme le christianisme est réaliste: parmi ceux qui vont vers la mort. «En bas, chez les mortels / tu es source vivace d’espérance» / tu es source vivace d’espérance». Tu es la possibilité que cet émerveillement se renouvelle continuellement. Toi! Toi, ô Marie, Toi, ô Vierge, Tu es la possibilité que la grâce de Dieu se renouvelle, tu es la possibilité que cette chaleur («dans ton ventre l’amour s’est rallumé») touche notre cœur, le touche de sorte que notre vie aille de début en début, l’embrasse si possible à tout instant. La sainteté, c’est quand cette chaleur embrasse presque (presque parce que la terre n’est pas le Paradis) chaque instant. Le père Léopold a été ainsi. Cette chaleur, cet émerveillement, lui embrassait presque à chaque instant le cœur, et ainsi il était cher à son cœur. Pavese avait compris que «le véritable émerveillement est fait non de nouveauté, mais de mémoire». Et ainsi il devient cher au cœur, comme la maison dans laquelle le cœur habite.
«Ici, tu es pour nous la torche méridienne / de charité et, en bas, chez les mortels, / tu es source vivace d’espérance». Et puis Dante termine en parlant de la prière. Que peut faire l’homme, l’homme blessé par le péché et l’homme gracié, lorsque cette chaleur, rallumée, il y a deux mille ans, dans le ventre de Marie, l’atteint? L’homme peut demander. «Dame, tu es si grande et de valeur si haute, / que qui veut une grâce et à toi ne recourt / il veut que son désir vole sans ailes». Dame, tu es si grande et de valeur si haute que qui veut une grâce et à toi ne recourt, son désir, c’est comme s’il voulait qu’il vole sans ailes. Mais ensuite il y a une strophe encore plus belle, plus belle parce qu’elle suggère que demander est aussi le fruit de Sa grâce, «Ta bienveillance répond non seulement / à celui qui demande, mais souvent / elle devance librement la demande». Et cela, c’est un mystère. Le mystère le plus ineffable de la prédilection de Dieu qui, non seulement répond à la demande, mais devance cette demande. Autrement nous ne saurions pas même demander. Ta bienveillance, la tienne, Marie, non seulement secourt celui qui demande, mais bien souvent (nous pouvons aussi dire toujours, sinon on ne demande pas, sinon on prétend ou ce ne sont que des mots) «elle devance librement la demande». Elle devance, elle vient avant, elle précède. «Que toujours ta grâce nous précède et nous accompagne». Précéder veut dire qu’elle vient avant, qu’elle vient avant même la demande. Pour demander il faut, au moins à l’horizon, être attiré, être éveillé par une chaleur qui s’est allumée dans le ventre de Marie.

Et j’en viens à la conclusion. Tout à l’heure, à genoux, dans la petite cellule du père Mandic, j’ai promis de conclure en disant ceci. En disant ce qui, selon moi, non selon moi, mais selon la sainte Église, est l’alternative à la grande hérésie dont je parlais au début, quand je faisais allusion à la gnose dans l’Église. C’est Judas, l’un des douze apôtres, qui a trahi Jésus. La persécution du monde, du diable, se fait toujours à travers des chrétiens. Judas, l’un des douze, a trahi Jésus: c’était l’un des douze! Ainsi, à Rome, ce sont des chrétiens qui ont tué Pierre et Paul, par envie. C’est toujours comme cela. Aujourd’hui aussi c’est comme cela. En tous cas, l’alternative à l’Antéchrist, à celui qui ne reconnaît pas Jésus, le Fils de Dieu dans la chair, est, selon moi, composée de trois choses.
La première est la confession. La confession telle qu’elle a été définie par le Concile de Trente et à l’humble fidélité de laquelle le Pape a récemment rappelé tout le peuple chrétien. La confession, c’est-à-dire l’accusation sincère, complète, humble, brève et prudente (ce sont les cinq caractéristiques de l’accusation des péchés du catéchisme de saint Pie X. La confession sincère et complète de chacun des péchés mortels. La confession comporte ce réalisme qui fait que le péché est péché). Et le geste, le plus simple du monde, d’un pauvre pécheur – éventuellement beaucoup plus pécheur que vous – comme l’est le confesseur, un geste fait par lui, mais réalisé par Jésus-Christ, un geste de Jésus-Christ vous pardonne. Le sacrement de la confession tel que Jésus-Christ l’a institué et que la sainte Église demande qu’il soit: jugement et miséricorde. C’est si vrai que dans le catéchisme, quand j’étais petit, il y avait une image qui illustrait bien le fait que si quelqu’un se confesse mal, il accomplit un sacrilège. C’était l’image d’un enfant qui s’éloignait, le diable derrière son dos. Et il y avait aussi l’image de l’ange gardien à côté d’un enfant souriant qui se confessait bien. La confession, donc, comme la sainte Église demande que l’on se confesse. Le sacrement de la confession est la première façon dont Marie a vaincu, à elle seule, toutes les hérésies. C’est ce que disait une antienne de la liturgie reprise par saint Jean Bosco dans sa prière à la Vierge: «Toi qui as détruit seule [seule, elle, pas nous!] toutes les hérésies du monde».
La seconde chose, c’est le saint Rosaire. Je vais vous lire quelques réflexions du pape Jean Paul Ier sur le Rosaire, du temps où était patriarche de Venise. «Personnellement, quand je parle seul à Dieu ou à la Vierge, plus qu’un adulte, je préfère me sentir un petit enfant». Cela vaut pour toute la vie. Être adulte dans la foi, cela veut dire s’apercevoir plus facilement de ce que l’on est, c’est-à-dire rien: «Sans moi, vous ne pouvez rien faire». Le futur Jean Paul Ier poursuit: «…pour m’abandonner à la tendresse spontanée qu’éprouve un enfant devant son père et sa mère. Être devant Dieu ce que je suis en réalité avec ma misère et le meilleur de moi-même. Le Rosaire, prière simple et facile, m’aide à son tour à être un petit enfant. Et je n’en ai pas honte». Le Rosaire (avec le Notre Père, l’Ave Maria et les oraisons jaculatoires qui se répètent) est la prière dans laquelle nous sommes réellement ce que nous sommes, c’est-à-dire rien. Dans laquelle, par la grâce, nous devenons enfants, dans laquelle le cœur devient enfant, de sorte qu’il entre (qu’il entre, déjà en récitant le Rosaire!) dans le Royaume des cieux. De sorte que le cœur refleurit.
Adoration des bergers,  Caravage, 1609, Musée national de Messine

Adoration des bergers, Caravage, 1609, Musée national de Messine

Et enfin la troisième chose: les oraisons jaculatoires. La confession, le Rosaire, les oraisons jaculatoires. Les oraisons jaculatoires, c’est-à-dire les petites prières. Comme lorsque l’on entre à l’église et que l’on dit: «Que soit loué et remercié à tout moment le très saint et très divin Sacrement». À tout moment! Et quelqu’un peut s’apercevoir qu’il y a longtemps qu’il n’a pas dit merci. Mais on peut en entrant dans une église et en faisant la génuflexion répéter: «Que soit loué et remercié à tout moment le très saint et très divin Sacrement». Et le merci de cet instant embrasse tout, embrasse les heures, les jours, les semaines et les mois durant lesquels quelqu’un n’a jamais dit merci. Et puis, cette autre oraison jaculatoire, si simple et chère, que Giussani nous a recommandée si souvent: «Veni, Sancte Spiritus, veni per Mariam». Viens, ô Saint-Esprit. L’Esprit Saint est Celui qui dans le ventre de Marie «a rallumé l’amour», Celui qui a éveillé dans le ventre de Marie l’amour. L’Esprit Saint est l’infinie correspondance entre le Père et le Fils. C’est quelque chose qui me surprend depuis que je l’ai compris. C’est l’infinie correspondance entre le Père et le Fils. La correspondance infinie, éternelle, surabondante entre le Père qui engendre et le Fils qui est engendré. C’est pourquoi, c’est par surabondance de correspondance et non par dialectique, par surabondance de joie que la Trinité a créé le monde et m’a créé moi aussi. «Veni, Sancte Spiritus, veni per Mariam». Viens à travers Marie.

Je terminerai en récitant un vers d’un hymne que Giussani a conseillé de lire, il y a quinze jours, et qui dit: «Jesu, mi dulcissime», Jésus ma douceur. Je voulais seulement dire cela, seulement dire l’humanité de Jésus. «Jesu, mi dulcissime», Jésus douceur pour moi. Seule une présence est douceur pour le cœur. Douceur est un mot que nous répétons deux fois dans le Salve Regina adressé à la Vierge: «dulcedo», douceur, «dulcis virgo Maria». Ainsi, en lui confiant ce que nous ne sommes pas capables et bien des fois nous ne voulons pas… «Jesu mi dulcissime, spes suspirantis animae»: espérance, surprise, émotion de l’âme qui soupire, qui attend («à toi mon gémissement n’est pas caché». C’est la vie, c’est la réalité qui fait soupirer. Les choses font soupirer. «Spes suspirantis animae». Âme qui soupire, lors même que nous ne nous en apercevons pas, à cette douceur, qui soupire à cette présence que Marie a portée dans son sein pendant neuf mois et qu’elle a mise au monde à Bethléem. «Spes suspirantis animae. Te quaerunt piae lacrymae». Les pieuses larmes te cherchent. Larmes, parce que la douleur de la vie fait pleurer. Nos pauvres péchés font eux aussi pleurer. Et les larmes se transfigurent en larmes de gratitude. Autrement, après quelque temps, on ne pleure même plus, après quelque temps, le visage aussi se durcit et se transforme en masque. Les larmes de douleur, face à cette présence, deviennent des larmes de gratitude, parce que Son pardon, Sa douceur, Sa tendresse sont plus grands. «Te quaerunt piae lacrymae et clamor mentis intimae». Quand nous dormons et quand nous sommes éveillées, le cri de notre cœur Te cherche. C’est Toi, Jéus-Christ, fils de Marie, Fils de Dieu, que cherche le cri de chaque cœur. Et à nous, par la grâce, il a été donné de commencer à chercher et d’être trouvés déjà, ici, sur la terre.





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