Van Gogh, 1889
Lettres à Théo sur la bonté et sur la douleur
Autoportrait avec palette, Vincent Van Gogh, 1er septembre 1889, National Gallery of Art, Washington
février 1889
Voilà de ces jours-ci, en déménageant, en transportant tous mes meubles, en emballant les toiles que je t’enverrai, c’était triste, mais il me semblait surtout triste qu’avec tant de fraternité tout cela m’avait été donné par toi, et que tant d’années durant c’était pourtant toi seul qui me soutenais, et puis d’être obligé de revenir te dire toute cette triste histoire, mais il m’est difficile d’exprimer cela comme je le sentais. La bonté que tu as eue pour moi n’est pas perdue, puisque tu l’as eue et cela te reste, alors même que les résultats matériels seraient nuls cela te reste pourtant à plus forte raison… Toutes tes bontés pour moi, je les ai trouvées plus grandes que jamais aujourd’hui, je ne peux pas te le dire comme je le sens, mais je t’assure que cette bonté-là a été d’un bon aloi. Et si tu n’en vois pas les résultats, mon cher frère, ne te chagrine pas pour cela, ta bonté te demeurera.
21 avril 1889
Je l’écrivais encore l’autre jour à la sœur, que, toute ma vie durant, ou presque, j’ai cherché autre chose qu’une carrière de martyr, pour laquelle je ne suis pas de taille.
3 mai 1889
Je suis “mal pris” dans la vie et mon état mental est non seulement mais a été aussi abstrait, de façon que quoi qu’on ferait pour moi, je ne peux pas réfléchir à équilibrer ma vie. Là où je dois suivre une règle comme ici à l’hospice, je me sens tranquille.
2 mai 1889
Je ne suis pas un admirateur du Christ au jardin des Oliviers de Gauguin, dont il m’envoie un croquis. Puis celui de Bernard, il m’en promet une photographie, je ne sais mais je crains que ces compositions bibliques me feront désirer autre chose. Ces jours-ci, j’ai vu les femmes cueillir et ramasser les olives, pas moyen pour moi d’avoir modèle, je n’en ai rien fait. Cependant, faudrait pas dans ce moment me demander de trouver bien la composition de l’ami Gauguin, puis l’ami Bernard n’a probablement jamais vu un olivier. Or, il évite donc de se faire la moindre idée du possible et de la réalité des choses, et ce n’est pas le moyen de synthétiser – non de leurs interprétations bibliques, jamais je ne m’en suis mêlé.
novembre 1889
Bernard m’a envoyé photos d’après ses toiles: ce que cela a, c’est que ce sont des espèces de rêves et de cauchemars.
sans date (1889)
Je lutte avec une toile commencée quelques jours avant mon indisposition, un faucheur, l’étude est toute jaune, terriblement empâtée, mais le motif était beau et simple. J’y vis alors dans ce faucheur – vague figure qui lutte comme un diable en pleine chaleur pour venir à bout de sa besogne – j’y vis alors l’image de la mort, dans ce sens que l’humanité serait le blé qu’on fauche. C’est donc – si tu veux – l’opposition de ce semeur que j’avais essayé auparavant. Mais dans cette mort rien de triste, cela se passe en pleine lumière avec un soleil qui inonde tout d’une lumière d’or fin.
septembre 1889