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LECTURE
Tiré du n° 06/07 - 2009

«La grâce de Dieu sauveur: libre, suffisante, pour nous nécessaire»


C’est par ces mots que Jean-Baptiste Montini décrit, dans ses notes de jeune prêtre sur les Épîtres de saint Paul, l’expérience et le message de l’Apôtre


par don Giacomo Tantardini


<I>Saint Paul</I>, mosaïque, Palerme

Saint Paul, mosaïque, Palerme

Je remercie ceux qui m’ont invité dans cette belle ville d’Ortona où est conservé, dans la cathédrale, le corps de l’apôtre Thomas, et je remercie Son Excellence Monseigneur Ghidelli d’être présent à cette rencontre.
Je n’ai pas de compétence spécifique pour parler de saint Paul. Ce que je connais de Paul naît simplement de la lecture de ses Épîtres, en particulier de celle qui en est faite au cours de la messe et de la prière du bréviaire, et je crois que c’est le plus important. Dans un discours tenu au cours d’un colloque d’exégètes sur la résurrection de Jésus, Paul VI disait, en citant Augustin, que pour comprendre l’Écriture «praecipue et maxime orent ut intelligant», ce qui est «le plus important et le principal, c’est de prier pour comprendre».
C’est ainsi que dans la prière, il peut nous être donné d’appréhender l’expérience qu’a faite Paul, l’expérience d’être aimé de Jésus. Lorsqu’il a inauguré l’année paulinienne, le pape Benoît XVI a dit que Paul est un rien aimé par Jésus-Christ. «Je ne suis rien» dit Paul lui-même à la fin de la deuxième épître aux Corinthiens (2Co 12, 11) et dans son épître aux Galates: «Il m’a aimé et il s’est livré pour moi» (Ga 2, 20).
De sorte qu’à nous aussi, infiniment éloignés que nous sommes de l’apôtre, il peut nous arriver la même expérience, la même communion de grâce, parce que la communion des saints est une réalité. Et c’est cette identité d’expérience, l’expérience d’être aimés gratuitement par Jésus-Christ, qui fait revivre les paroles de l’apôtre, qui peut rendre Paul si proche, si voisin, si ami, si familier.
Je voudrais commencer par la lecture de quelques phrases prononcées par le pape Benoît XVI au cours de l’Angélus du dimanche 25 janvier. Cette année, la fête de la conversion de saint Paul est tombée un dimanche, et le Pape, en expliquant la rencontre de Saul avec Jésus sur la route de Damas (nous avons d’ailleurs lu ce texte aujourd’hui dans les Actes des Apôtres, au cours de la sainte messe), a prononcé ces mots qui m’ont surpris et réconforté, et que j’ai lus et relus: «À ce moment-là, [quand il a rencontré Jésus: «Je suis Jésus que tu persécutes» (Ac 9, 5)] Saul a compris que son salut [nous pourrions aussi dire son bonheur, parce que le reflet humain du salut est le bonheur, le reflet humain de Sa grâce est le plaisir de Sa grâce] ne dépendait pas des bonnes œuvres accomplies selon la loi [j’ai été très frappé par l’adjectif bonnes. De bonnes œuvres. Le Pape a voulu souligner que le salut ne dépend pas des bonnes œuvres, accomplies selon la loi, œuvres bonnes, comme bonne et sainte est la loi (cf. Rm 7, 12)], mais du fait que Jésus était mort pour lui aussi, le persécuteur [Il m’a aimé et il s’est livré pour moi (Ga 2, 20)] et qu’il était, et qu’il est ressuscité». L’autre mot qui m’a frappé est ce verbe au présent: «qu’il était, et qu’il est ressuscité».
Benoît XVI a tenu cette année vingt méditations sur saint Paul au cours des audiences du mercredi. L’une de ces méditations, peut-être la plus belle, la onzième, traite de la foi de Paul dans la résurrection du Seigneur. Commentant le chapitre 15 de la première épître aux Corinthiens, le Pape a souligné que Paul transmet ce qu’à son tour, il avait reçu (cf. 1Co 15, 3), à savoir «que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau et qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures, qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze» (1Co 15, 3-5). La résurrection de Jésus est un fait survenu à un moment précis du temps et Celui qui est ressuscité à ce moment précis est vivant maintenant, en ce moment. Il est ressuscité et par conséquent, vivant dans le présent.
La conversion de Paul, estime le Pape, est tout entière dans ce passage. Le passage du fait qu’il pensait que le salut dépendait de ses bonnes œuvres, accomplies selon la loi (la loi est la loi de Dieu, la loi sont les dix commandements de Dieu), au fait qu’il reconnaît simplement que le salut était et est la présence d’un Autre, était et est la présence de Jésus.
Au cours de ce même Angélus du dimanche 25 janvier, Benoît XVI a ajouté (et ceci m’a aussi frappé parce que le grand rabbin de Rome, Riccardo Di Segni, que j’estime profondément et dont je peux dire qu’il est un ami de 30Giorni, a souligné cette allusion du Pape), que l’on ne pourrait pas proprement parler de la conversion de Paul, parce que Paul croyait déjà dans le Dieu unique et vrai et qu’il était «irrépréhensible» en ce qui concerne la loi de Dieu, comme il le dit lui-même dans son épître aux Philippiens (3, 6).
La conversion de Paul (et ici, permettez-moi de reprendre les paroles que saint Augustin utilise pour parler de sa propre conversion) est simplement le passage de son dévouement à Dieu à la reconnaissance de ce que Dieu a accompli et accomplit en Jésus.
Augustin décrit ainsi sa propre conversion: «Quand j’ai lu l’apôtre Paul [et tout de suite après – parce qu’il ne suffit même pas de lire les Écritures – il ajoute:] et quand Ta main a dissipé la tristesse de mon cœur, alors j’ai compris la différence inter praesumptionem et confessionem / entre le dévouement et la reconnaissance». Praesumptio n’indique pas une mauvaise chose au commencement, c’est à la longue que praesumptio dégénère en mauvaise présomption; mais au début, elle indique la tentative de l’homme de vouloir atteindre le bon idéal pressenti. La conversion chrétienne est le passage de cette tentative de l’homme d’accomplir le (permettez-moi de reprendre cette image de don Giussani que je trouve sans pareille) le passage de l’enthousiasme du dévouement à l’enthousiasme de la beauté; de l’enthousiasme de notre propre dévouement, qui est bon en soi, à l’enthousiasme éveillé par une présence qui attire le cœur, une présence qui se fait gratuitement rencontre et qui se fait gratuitement reconnaître. Paul n’a rien fait pour Le rencontrer. Venant gratuitement à nous, le Seigneur met en œuvre le passage de notre dévouement à la beauté de Sa présence qui se fait reconnaître par attraction. Et il n’y a pas de contradiction entre dévouement et reconnaissance. Giussani dit simplement que «l’enthousiasme du dévouement est incomparable à l’enthousiasme de la beauté». C’est ce terme même qu’utilise saint Augustin lorsqu’il décrit le rapport entre la vertu des hommes et les petits premiers pas de celui qui met son espérance dans la grâce et dans la miséricorde de Dieu.
Nous pourrions aussi dire que, lorsqu’il arrive de vivre par grâce l’expérience même que Paul a vécu, son expérience identique, dans l’infinie distance qui nous distingue de lui, c’est comme si à travers tous les mots chrétiens, le mot foi, le mot salut, le mot église, transparaissait l’initiative de Jésus-Christ. C’est lui qui éveille la foi. La foi est Son œuvre. C’est Lui qui sauve. C’est à Son initiative qu’est dû le don du salut. C’est Lui qui construit Son Église. «Aedificabo ecclesiam meam» (Mt 16, 18). Aedificabo est un futur: «Je construirai mon église» sur la profession de foi de Pierre, sur la grâce de la foi donnée à Pierre (cf. Mt 16, 18). C’est Lui qui construit personnellement Son Église, dans le présent, sur un don qu’Il nous fait.
Qu’il est beau de dire les paroles chrétiennes les plus simples, le mot foi, le mot espérance, le mot charité, et de se rendre compte que ces mots indiquent une initiative de Sa part, qu’ils font entrevoir un geste de Lui, une action de Sa part. Comme ce qui est arrivé à la petite sainte Thérèse de l’Enfant Jésus: «Lorsque je suis charitable, c’est Jésus seul qui agit en moi».
Nous autres prêtres, nous avons lu dans notre bréviaire, au cours de la seconde semaine de Pâques le passage de l’Apocalypse contenant les lettres que Jésus envoie aux sept églises. Dans une de ces lettres, Jésus dit: «Tu n’as pas renié ma foi» (Ap 2, 13). Ma foi. C’est la foi de Jésus.
«Gratia facit fidem». Qu’elle est belle et simple, cette expression de saint Thomas d’Aquin! C’est la grâce qui crée la foi. C’est Lui qui se fait reconnaître. «Nul ne vient à moi si mon Père ne l’attire» (Jn 6, 44.65), dit Jésus. Et saint Augustin commente: «Nemo venit nisi tractus / Nul ne vient [à Jésus] s’il n’est attiré». La foi est Son initiative. Le salut est Son initiative. Et Son Église est Son initiative.
Permettez-moi de vous raconter l’une de mes premières rencontres avec don Giussani. J’ai eu cette possibilité grâce à Mgr Angelo Scola, l’actuel patriarche de Venise, dont j’avais fait la connaissance dans mon séminaire de Venegono. C’est lui qui m’a fait rencontrer don Giussani. Je me souviens encore de cette rencontre à Milan. Giussani parlait à un groupe de jeunes, et tout d’un coup, il leur a demandé: «Qu’est-ce qui nous met en rapport avec Jésus-Christ? Qu’est-ce qui nous met en rapport, en ce moment, avec Jésus-Christ?». Il y eut plusieurs réponses: «L’Église», «la communauté», «notre amitié», etc., à la fin desquelles don Giussani répéta sa question: «Qu’est-ce qui nous met en rapport avec Jésus-Christ?» puis donna lui-même la réponse: «Le fait qu’il est ressuscité». Cela, je ne l’oublierai jamais! «Le fait qu’il est ressuscité». Parce que s’il n’était pas ressuscité, s’il n’était pas vivant, l’Église serait une institution purement humaine, comme tant d’autres. Un poids de plus. À la fin, toutes les choses purement humaines deviennent un poids.
«Qu’est-ce qui nous met en rapport avec Jésus-Christ? Le fait qu’il est ressuscité». L’Église est l’aspect visible de Jésus-Christ vivant. «L’Église n’a d’autre vie», dit Paul VI dans le Credo du peuple de Dieu, «que celle de Sa grâce». Elle n’a d’autre commencement, heure par heure, que Son attraction, l’attraction de Sa grâce. L’Église est le terme visible du geste de Jésus vivant qui rencontre le cœur et l’attire.
Lire saint Paul, en vivant par la grâce ce que Paul a compris (comme le dit le Pape) dans sa conversion, rend toutes les paroles chrétiennes transparentes de Lui, de Jésus-Christ, rend toutes les paroles chrétiennes légères. Sinon, elles deviennent un poids. Si la foi venait d’une initiative de notre part, nous serions perdus. Mais comme il s’agit d’une initiative de Jésus, ce don qu’Il nous fait peut toujours se renouveler, il est donc toujours possible de recommencer. C’est à chaque instant une initiative de Jésus. «Gratia facit fidem… quamdiu fides durat».
Il est admirable qu’en 1999, la Commission théologique d’études qui réunissait Église catholique et luthériens, mettant justement en valeur cette phrase de saint Thomas d’Aquin, ait reconnu qu’existe une surprenante identité entre la théologie de Luther sur la justification pour la foi et certains aspects essentiels de la doctrine dogmatique du Concile de Trente dans le décret De iustificatione.
Saint Thomas d’Aquin dit donc que «la grâce crée la foi non seulement quand la foi commence, mais à tous les instants de sa durée». Et il ajoute cette merveilleuse observation: il faut la même attraction de la grâce, le même trésor de la grâce, à la fois pour nous faire demeurer dans la foi maintenant, nous qui croyons, et pour faire passer une personne (à supposer qu’il se trouve ici une personne qui ne croit pas) de l’absence de foi à la foi.
Par ces mots, j’ai seulement voulu dire que la conversion de Paul, comme celle de chaque chrétien, a lieu dans le passage de l’initiative de l’homme à l’initiative de Jésus, à la stupeur de l’initiative de Jésus, à la confessio supplex. Comme c’était beau, dans la messe en latin, lorsqu’on répétait avant le Sanctus: «Supplici confessione / Avec une reconnaissance qui supplie». Car nous ne pouvons reconnaître une présence qui nous aime qu’en suppliant que celle-ci continue à nous aimer.
Et maintenant, trois remarques:

<I>La conversion de Paul</I>, cathédrale de Monreale, Palerme

La conversion de Paul, cathédrale de Monreale, Palerme

1. «… dans la foi du Fils de Dieu qui m’a aimé…»
Lisons l’épître aux Galates, chapitre 1, verset 15, dans laquelle Paul lui-même décrit le passage de son initiative à l’initiative de Dieu.
«Mais quand Celui qui dès le sein maternel m’a mis à part... [il existe un mystère d’où naît la grâce de la foi: c’est le choix de Dieu, l’élection de Dieu. Ce mystère, nous ne pouvons le juger: «Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis» (Jn 15, 16)]... Quand Celui qui dès le sein maternel m’a mis à part et appelé par sa grâce [qu’il est beau, cet appelé par sa grâce! La voix ne suffit pas, pas même la voix de Jésus, si l’attraction de Jésus ne touche pas le cœur. C’est Sa grâce, c’est Son attraction qui remue le cœur] daigna révéler en moi son Fils…». Il daigna me montrer Son Fils. Telle est la conversion de Paul. Celui qui m’a choisi et qui m’a appelé par Sa grâce m’a fait reconnaître Son Fils.
Galates 2, 20: «Ma vie présente dans la chair [dans la condition humaine, marquée par le péché originel, même après le baptême. Le bapteme ôte le péché, mais laisse la fragilité qui provient du péché et qui nous rend enclins au péché], je la vis dans la foi au Fils de Dieu [dans la reconnaissance du Fils de Dieu], qui m’a aimé et s’est livré pour moi».
Je vous lis le commentaire de cette phrase par Benoît XVI: «Sa foi [la foi de Paul] est l’expérience d’être aimé par Jésus-Christ de manière tout à fait personnelle […]. Le Christ a affronté la mort […] par amour pour lui – Paul – et, en tant que Ressuscité, il l’aime toujours […]. Sa foi n’est pas une théorie, une opinion sur Dieu et sur le monde. Sa foi est l’impact de l’amour de Dieu sur son cœur».
La foi naît de l’impact de l’amour de Jésus sur le cœur de Paul. La foi est l’initiative de l’amour de Jésus-Christ sur son cœur.
Permettez-moi de vous lire une phrase que j’ai découverte en allant à Cascia pour prier sainte Rita (sainte Rita était mariée et elle avait deux enfants. Son mari ayant été tué, elle pardonne publiquement l’assassin et demande à ses enfants de ne pas venger leur père, puis entre au monastère des augustines de Cascia). L’auteur de la phrase que je vous lis est un bienheureux moine augustin dont le livret sur la Passion de Jésus était connu de sainte Rita: «L’amitié est une vertu, mais être aimé n’est pas une vertu, c’est le bonheur». Il me semble que ces mots font comprendre d’où vient la charité et ce qu’est la charité. L’amitié est une vertu, c’est le comble des vertus. Saint Thomas d’Aquin dit que la charité, c’est l’amitié. Mais être aimé n’est pas une vertu, c’est le bonheur. Être aimé passe en premier: «C’est moi qui vous ai aimés le premier» (1Jn 4, 19). Pour aimer il faut d’abord être aimé. Il faut d’abord être content d’être aimé.
Saint Augustin, dans ce merveilleux passage dans lequel, comparant les apôtres Pierre et Jean, il se demande lequel des deux est le meilleur, répond que Pierre est meilleur, puisque lorsque Jésus lui demande «Simon, fils de Jean, tu m’aimes [agapâs me?] plus que ceux-ci?» (Jn 21, 15), Pierre répond: «Oui, Seigneur, tu sais bien que je t’aime[filô se]» (Jn 21, 15). Donc Pierre est meilleur que Jean. En comparant la condition de Pierre, qui aime plus Jésus, avec celle de Jean, qui est plus aimé par Jésus, Augustin dit: «Facile responderem meliorem Petrum, feliciorem Ioannem / Il m’est facile de répondre que Pierre est meilleur [parce qu’il aime plus Jésus], mais Jean est plus heureux [parce qu’il est plus aimé par Jésus]». Pour être heureux, il faut être aimé. Cela ne dépend même pas de notre pauvre amour. Pierre est meilleur parce qu’il aime plus Jésus, mais Jean est plus heureux parce qu’il est plus aimé par Jésus.
Le Pape dit que la foi de Paul est l’impact de l’amour de Jésus sur son cœur, et c’est pour cette raison que cette foi, justement parce qu’elle est l’impact de Jésus sur son cœur, éveille et est aussi le pauvre amour de Paul pour Jésus. Cette attraction amoureuse de Jésus, du fait qu’elle rend heureux le cœur de Paul, éveille aussi le pauvre amour de Paul pour Jésus, pauvre comme celui de Pierre.
Benoît XVI a insisté, à l’occasion d’une audience du mercredi au cours de laquelle il commentait la question que Jésus adresse à Pierre: «Simon, fils de Jean, m’aimes-tu?», sur la différence des verbes grecs utilisés par Pierre et par Jésus. Jésus utilise le verbe agapáo, qui indique un amour totalisant («... M’aimes-tu – agapâs me? –»). Pierre utilise le verbe filéo, qui exprime le pauvre amour humain. («Tu sais bien que je t’aime»). «Je t’aime – filô se – comme le peut un pauvre homme». Alors, la troisième fois (le Pape décrit cela de manière merveilleuse!), Jésus s’adapte au pauvre amour humain de Pierre et il lui demande simplement s’il L’aime – fileîs me? –, comme un pauvre homme peut le faire.
Je lis maintenant saint Paul, 1Co 15, 8 et suivants. Là aussi, Paul décrit sa rencontre avec Jésus sur la route de Damas: «Et puis, le dernier de tous…». Comme c’est beau, ce le dernier de tous! Dans la liturgie ambroisienne, le prêtre qui célèbre la messe dit: «Nobis quoque minimis et peccatoribus». Dans la liturgie romaine, il dit seulement: «Nobis quoque peccatoribus». Dans la liturgie ambrosienne, celui qui célèbre la messe, que ce soit l’évêque ou le dernier des prêtres, dit: «À nous aussi, qui sommes les plus petits et les pécheurs». De même, Paul dit qu’il est le dernier, le plus petit.
«Et puis, en tout dernier lieu, il m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton. Car je suis le dernier des apôtres; et je ne mérite même pas d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu. Mais c’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce à mon égard n’a pas été stérile; loin de là, j’ai travaillé plus qu’eux tous; Oh! Non pas moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi».

<I>Ananie baptise Paul</I>, cathédrale de Monreale, Palerme

Ananie baptise Paul, cathédrale de Monreale, Palerme

2. Paul est toujours suspendu à l’initiative de Jésus
Paul est toujours suspendu à l’initiative de la grâce, et ceci est l’une des choses qui impressionnent le plus ceux qui lisent ses Épîtres. Non seulement le commencement est grâce, non seulement le commencement est l’initiative de Jésus. Paul est toujours suspendu à l’initiative de Jésus, heure par heure, comme c’est le cas dans la réalité de chacun d’entre nous. Mais l’expérience de Paul, de ce point de vue, et d’un dramatique et d’une beauté uniques.

Je vais vous lire un texte qui me réconforte depuis l’époque de mon séminaire, un passage de la deuxième épître aux Corinthiens, chapitre 12, verset 7 et suivants. À l’époque, j’étais frappé par les mots, mais aujourd’hui, le parcours de la vie a donné une réalité à ces mots, par le moyen de Sa grâce et de Sa miséricorde renouvelée.
La deuxième épître aux Corinthiens est la plus belle à mes yeux, parce que c’est celle dans laquelle Paul – il le dit lui-même – ouvre tout son cœur (2Co 6, 11). C’est l’épître dans laquelle Paul, face à «la douceur et l’indulgence du Christ» (2Co 10, 1) décrit ce qu’il est, son être sans défense, son être fragile.
«Et pour que l’excellence même de ces révélations ne m’enorgueillisse pas, il m’a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter, pour que je ne m’enorgueillisse pas [quelle que soit la lecture de cette “écharde dans la chair”, cette fragilité, cette tentation, c’est ainsi que Paul s’exprime]. À ce sujet [à cause de cette souffrance] par trois fois, j’ai prié le Seigneur pour qu’elle s’éloigne de moi [cette souffrance, cette fragilité, cette tentation]. Mais il m’a déclaré: “ma grâce te suffit: car ma puissance se déploie dans la faiblesse”». Sa force se déploie dans la faiblesse.
Permettez-moi d’apporter une petite correction à une phrase que j’ai lue tout à l’heure sur un panneau de l’exposition sur saint Paul. Je n’aurais pas écrit que «Paul est orgueilleux de sa faiblesse». On ne peut pas être orgueilleux de sa propre faiblesse. Saint Irénée, commentant ce passage de la deuxième épître aux Corinthiens, et pensant à la gnose (l’un des éléments essentiels de l’hérésie gnostique est la non-distinction entre le bien et le mal; au point de placer – et Hegel en fait une théorie – le mal en Dieu et par Dieu), fait très attention à distinguer la faiblesse de la grâce. La faiblesse rend la grâce évidente. La faiblesse, quand elle est embrassée, rend le fait d’être embrassé plus évident. Mais ce qui est positif, c’est le fait d’être embrassé, pas la faiblesse. À travers la faiblesse, qui est la condition humaine, le fait d’être embrassé gratuitement par Jésus devient plus évident. Lorsqu’un enfant est malade, c’est comme si sa mère et son père l’aimaient plus, mais la maladie de l’enfant n’est pas une valeur. C’est que cette faiblesse rend plus évident le fait d’être aimé. Dans une époque où la gnose occupe une position culturelle qui domine la société et même souvent l’Église du Seigneur, combien cette distinction est importante! La faiblesse en soi n’est pas un bien. La faiblesse rend plus évident le fait d’être embrassé quand on est embrassé, le fait d’être aimé quand on est aimé. Elle rend plus évidente la gratuité du fait d’être aimé. Le péché est le péché et le péché mortel mérite l’enfer, comme dit le Catéchisme. Mais lorsque Jésus, après avoir été trahi, regarda Pierre (Lc 22, 61), ce regard rendit plus évident l’amour de Jésus pour le pauvre Pierre.
«Je me vanterai donc bien volontiers de mes faiblesses, afin que demeure en moi la puissance du Christ». La faiblesse est la condition pour que Sa puissance se révèle à tous avec plus d’évidence.

<I>Portrait de saint Paul</I>, Le Greco, Casa y museo de El Greco, Tolède

Portrait de saint Paul, Le Greco, Casa y museo de El Greco, Tolède

3. L’Évangile que transmet Paul
Deux brèves remarques sur l’annonce de Paul.
Qu’est-ce que Paul annonce? Tout d’abord ce que lui, à son tour, a reçu. Que c’est beau! Paul n’invente rien, il annonce ce que lui, à son tour, a reçu.
Je vais vous lire le passage de la première épître aux Corinthiens, chapitre 15, verset 1 et suivants. Ces versets recueillent toute l’annonce de Paul. Toute l’annonce de Jésus-Christ.
«Je vous rappelle, frères, l’Évangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu et dans lequel vous demeurez fermes, par lequel vous aussi vous vous sauvez, si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé; sinon, vous auriez cru en vain! Je vous ai donc transmis en premier lieu ce que j’avais moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, qu’il a été mis au tombeau, qu’il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures, qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze». Paul annonce le témoignage de Jésus. «Le témoignage de Dieu» (1Co 2, 1). Le témoignage que Dieu a rendu en ressuscitant Jésus d’entre les morts. Le témoignage que Jésus-Christ a donné d’être ressuscité en se montrant aux disciples. Le fait que Jésus ressuscité se rende visible aux témoins qu’Il choisit fait partie de l’essence de l’annonce chrétienne. S’il ne s’était pas rendu visible aux témoins, s’il n’avait pas témoigné lui-même qu’il était ressuscité, le témoignage des apôtres aurait été une pure invention de leur part.
Heinrich Schlier qui est, à mon avis, le plus grand exégète que l’Église aie connu au siècle dernier, insiste sur ce fait, et à quel point! C’est Jésus qui, en se rendant visible, rend témoignage de Lui-même. C’est Jésus qui, en se rendant visible aux apôtres, en se faisant toucher et en mangeant avec eux, témoigne de la réalité de Sa résurrection: «Thomas, regarde et mets ton doigt ici» (cf. Jn 20, 27). «Visus est, tactus est et manducavit. Ipse certe erat / Il fut vu, Il fut touché, Il mangea. C’était vraiment Lui», dit saint Augustin dans un discours contre les gnostiques, en commentant l’apparition de Jésus ressuscité aux apôtres à partir de l’évangile de Luc (Lc 24, 36-49).
C’est Jésus qui, en se rendant visible, témoigne qu’Il est ressuscité, qu’Il est vivant. Le témoignage des apôtres est un reflet de Son témoignage. Que c’est important! La lumière de l’Église n’est qu’un reflet. «Lumen gentium cum sit Christus / C’est le Christ qui est la lumière des nations». L’Église reflète Sa lumière comme dans un miroir. Dans l’une de ses plus belles phrases, que j’aime tant, Paul dit: «Et nous tous qui, le visage découvert, nous reflétons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image [le reflet de Jésus est efficace: il change la vie], allant de gloire en gloire, par l’action de l’Esprit du Seigneur» (2Co 3, 18).
Paul annonce ce qu’il a reçu, ce que Jésus-Christ lui-même a témoigné à ses apôtres.
Ma deuxième remarque porte sur l’annonce de Paul, et prend aussi sa source de la première épître aux Corinthiens, chapitre 2, verset 1 et suivants. L’annonce de Jésus porte en elle la preuve de sa vérité. Il ne s’agit pas de démontrer nous-mêmes que Jésus est vivant. C’est Jésus même qui, en se montrant, en opérant, démontre qu’il est vivant. Autrement, nous aggravons le doute, notre doute et celui des autres. C’est Jésus qui, en agissant, et donc en se montrant, démontre qu’il est vivant. Le fait que Jésus agit et se montre dans le présent est la démonstration de la vérité du christianisme.
Pour l’exprimer, Schlier utilise une expression magnifique: «Le kérygme et les dons, le kérygme et les miracles forment un tout»; et Paul le dit plus simplement que le grand exégète: «Pour moi, quand je suis venu chez vous, frères, je ne suis pas venu vous annoncer le témoignage de Dieu [le témoignage que Dieu a donné] avec le prestige de la parole ou de la sagesse. Non, je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Moi-même, je me suis présenté à vous faible [qu’il est beau, ce passage!] et craintif et tout tremblant et ma parole et mon message n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse [il ne voulait pas démontrer lui-même que Jésus était réel]; c’était une démonstration de l’Esprit [c’est-à-dire du fait que Jésus ressuscité se manifeste] et de sa puissance [concernant Son action, Sa manifestation], pour que votre foi reposât, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu» (1Co 2, 1-5).
La foi ne peut être fondée que sur la puissance de Dieu, c’est-à-dire sur l’action de Jésus, sur la manifestation de Jésus. On ne vainc pas la peur de la mort (cf. He 2, 15) par des argumentations savantes, par des discours. La peur de la mort est vaincue quand Jésus, agissant dans le présent, se fait reconnaître comme vivant. Jésus se démontre réel, vivant, quand Il se montre. Quand il montre Son action, quand il montre Sa puissance. «Par une preuve totalement Sienne», écrit Schlier, qui s’expérimente «comme réalité tangible».
<I>Saint Paul rend visite à saint Pierre dans sa prison</I>, Filippino Lippi, Chapelle Brancacci, Santa Maria del Carmine, Florence

Saint Paul rend visite à saint Pierre dans sa prison, Filippino Lippi, Chapelle Brancacci, Santa Maria del Carmine, Florence


Je termine par les mots de Jean-Baptiste Montini, tirés des ses notes sur les Épîtres de saint Paul, et écrits à Rome lorsqu’il était jeune prêtre, entre 1929 et 1933: «Nul plus que lui [Paul] n’a senti l’insuffisance humaine et n’a reconnu et exalté l’action libre, suffisante par elle seule, nécessaire pour nous, de la grâce du Dieu Sauveur». C’est magnifique! Libre: «Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais c’est moi qui vous ai choisis» (Jn 15, 16). Suffisante par elle seule: «Ma grâce te suffit» (2Co 12, 9). Nécessaire pour nous: «Sans moi vous ne pouvez rien faire» (Jn 15, 5).
Et Montini ajoute une phrase, émouvante si l’on pense aussi aux humiliations qu’il avait reçues: «Lui [Paul] a senti la gêne de sa présence “contemptibilis” [méprisable] ».
«Praesentia corporis infirma [écrit-il dans la deuxième épître aux Corinthiens, 10, 10] / Sa présence physique est chétive / et sermo contemptibilis / et sa parole est méprisable».
«Il a senti la gêne de sa présence comptemtibilis. Il a éprouvé d’accablantes dépressions de l’esprit».
On trouve une expression de cette humanité si faible de Paul dans la deuxième épître aux Corinthiens, chapitre 2, verset 12: «J’arrivai donc à Troas pour annoncer l’Évangile du Christ et, bien qu’une porte me fût ouverte dans le Seigneur [c’est-à-dire qu’il lui était possible d’annoncer l’Évangile du Christ], mon esprit n’eut point de repos parce que je ne trouvai pas Tite, mon frère. Je pris donc congé d’eux et partis pour la Macédoine». Paul n’a même pas la force d’annoncer l’Évangile, s’il n’a pas le réconfort de la grâce du Seigneur qui brille, reflétée sur le visage d’une personne amie. Amie, simplement à cause de ce reflet de la grâce.
Et puis il continue (2Co 7, 5ss.): «De fait, à notre arrivée en Macédoine, notre chair [notre faible humanité] ne connut pas de repos. Partout des tribulations: au dehors, des luttes; au-dedans, des craintes».
Quelle vérité en ces mots! «L’Église vit», dit la constitution Lumen gentium, «entre les persécutions du monde et les consolations de Dieu». Saint Augustin, dans le passage de La Cité de Dieu d’où est tirée cette phrase, écrit que les persécutions du monde viennent avant tout de l’intérieur de l’Église. Pour cette autre raison, c’est que les persécutions du monde sont avant tout nos pauvres péchés qui font souffrir le cœur de ceux qui sont aimés par Jésus et qui L’aiment.
Paul continue: «Mais Celui qui console les affligés, Dieu, nous a consolés par l’arrivée de Tite, et non seulement par son arrivée, mais encore par la consolation que vous-mêmes lui aviez donnée». Paul, qui n’avait pas eu à Troas la force d’annoncer l’Évangile, est consolé quand Tite arrive parce que Tite lui parle aussi de l’affection que les gens de Corinthe ont pour lui.
«À cette consolation personnelle s’est ajoutée une joie bien plus grande encore, celle de voir la joie de Tite» (2Co 7, 13). Car il ne suffit pas de se rappeler l’affection des personnes qui sont loin, si celui qui nous en parle n’est pas lui-même joyeux, content dans le présent.

Quand je vais prier sur la tombe de Paul dans la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, à Rome, à genoux, je répète toujours cet hymne: «Pressi malorum pondere, te, Paule, adimus supplices / Oppressés par le poids de tant de contrariétés, [à commencer par nos pauvres péchés], nous venons à toi, Paul, en suppliant / […] Quos insecutor oderas defensor inde amplecteris / […] ceux que tu as haïs quand tu étais persécuteur, aujourd’hui que tu es leur défenseur, tu les embrasses». Dans cette étreinte, dans ce fait d’être aimés par Jésus, y compris à travers les amis de Jésus, nous pouvons répéter: «L’amitié est une vertu, mais le fait d’être aimé n’est pas une vertu, c’est le bonheur».
Merci.


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