Interview du cardinal Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires
Nous ne sommes pas maîtres des dons du Seigneur
interview du cardinal Jorge Mario Bergoglio par Gianni Valente
Si les prêtres de
Buenos Aires cherchent à faire «tout leur possible» pour
faciliter l’accès de leurs concitoyens au premier sacrement,
ils peuvent être sûrs de trouver leur archevêque à
leur côté. Ce sont-là les choses importantes pour le
cardinal Jorge Mario Bergoglio.

À Buenos Aires, certains curés ont pris
des initiatives pour faciliter et encourager de toutes les manières
possibles la célébration de nouveaux baptêmes.
Qu’est-ce qui les pousse à agir de la sorte?
JORGE MARIO BERGOGLIO: La Conférence de l’épiscopat latino-américain qui s’est déroulée en 2007 à Aparecida nous a recommandé d’annoncer l’Évangile en allant vers les gens, et non en restant assis dans notre Curie ou notre presbytère à attendre que ceux-ci viennent à nous. Dans son avant-avant dernier paragraphe, le document d’Aparecida, faisant un saut de trente ans en arrière, revient à l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi de Paul VI, qui décrivait la «ferveur apostolique» comme «la douce et réconfortante joie d’évangéliser», de «proclamer dans la joie une Bonne Nouvelle que l’on a apprise grâce à la miséricorde du Seigneur». Mais cela ne veut pas dire qu’il faille programmer des initiatives ou des événements extraordinaires. Le texte de l’exhortation répétait justement que «si le Fils est venu, c’est précisément pour nous révéler à travers sa parole et sa vie, les sentiers ordinaires du salut». Il s’agit d’un ordinaire qui peut se faire de manière missionnaire, et à cet égard, le baptême est exemplaire. Je crois que c’est dans cet esprit que les curés de Buenos Aires ont mené leur action.
Pensez-vous que le souci de faciliter le baptême soit lié à des situations particulières et locales, ou qu’il s’agisse d’une option qui peut être conseillée à tout le monde?
BERGOGLIO: Le souci de favoriser par tous les moyens l’administration du baptême et des autres sacrements concerne l’Église tout entière. Si l’Église suit son Seigneur, si elle sort d’elle-même avec courage et miséricorde, elle ne reste pas enfermée dans sa position autoréférentielle. Le Seigneur opère un changement dans le cœur de ceux qui lui sont fidèles, Il élève leur regard au-dessus d’eux-mêmes. Là est la mission, là est le témoignage.
Dans le vade-mecum sur le baptême préparé et distribué par le diocèse de Buenos Aires, on répond aux critiques possibles de ceux qui disent que les sacrements ne doivent pas être «bradés» et qu’il faut garder fermement les conditions requises de préparation et de disposition. Ces critiques sont-elles légitimes?
BERGOGLIO: Il n’y a aucun “bradage”, aucun rabais. Les curés s’en tiennent aux indications données par les évêques de la région pastorale de Buenos Aires, qui respectent toutes les conditions rappelées par le Code de droit canonique, selon le critère de base défini dans le dernier canon: la loi suprême est le salut des âmes.
Pensez-vous que soient justifiés, en quelque manière, les cas où le baptême est refusé aux enfants parce que leurs parents ne vivent par une situation matrimoniale régulière selon le Droit canonique?
Chez nous, ceci voudrait dire que l’on ferme les portes de l’Église. L’enfant n’est nullement responsable de l’état du mariage de ses parents, et souvent, le baptême des enfants devient pour les parents eux-mêmes un nouveau début. D’habitude, on fait une petite catéchèse d’environ une heure avant le baptême, et puis une catéchèse mystagogique pendant la liturgie. Ensuite, les prêtres et les laïcs rendent visite à ces familles pour continuer avec elles la pastorale post-baptismale. D’ailleurs, il arrive souvent que les parents, qui n’étaient pas mariés à l’église, demandent à se présenter devant l’autel pour célébrer le sacrement du mariage.
Il arrive parfois que les ministres ou les opérateurs pastoraux adoptent une attitude presque “patronale”, comme si la décision de concéder ou non les sacrements était entre leurs mains.
BERGOGLIO: Les sacrements sont des gestes du Seigneur, pas des prestations ou des terres de conquêtes de prêtres ou d’évêques. Dans notre pays, si vaste, il y a beaucoup de petits villages difficiles à atteindre, dans lesquels le prêtre ne passe qu’une ou deux fois par an. Mais la piété populaire sent que les enfants doivent être baptisés le plus tôt possible, et alors il y a toujours un laïc ou une laïque connus de tous comme bautizadores, qui baptisent les enfants à leur naissance, en attendant que le prêtre arrive. Lorsqu’il arrive, on lui apporte l’enfant pour qu’il lui applique l’huile sainte pour achever la cérémonie. Quand j’y pense, je suis toujours surpris par l’histoire de ces communautés chrétiennes du Japon qui étaient restées sans prêtres pendant plus de deux cents ans. Lorsque les missionnaires sont revenus, ils les ont trouvés tous baptisés, tous validement mariés aux yeux de l’Église, et tous leurs défunts avaient reçu une sépulture chrétienne. Ces laïcs n’avaient reçu que le baptême, et en vertu de leur baptême, ils avaient aussi vécu leur mission apostolique.
Certains pensent que, sans une conscience adéquate et sans préparation, le rite sacramentel risque de devenir une sorte de “magie”, ou quelque chose de mécanique. Qu’en pensez-vous?
BERGOGLIO: Personne ne pense que l’on ne doive pas faire de catéchèse, ni préparer les enfants à la confirmation et à la communion. Mais il faut toujours regarder notre peuple tel qu’il est, et voir ce qui est le plus nécessaire. Les sacrements sont faits pour la vie des hommes et des femmes tels qu’ils sont, des gens qui ne font peut-être pas de grands discours, mais qui sont dotés d’un sensus fidei apte à saisir ute;nages. Elle avait ces enfants de deux hommes différents. Je l’avais rencontrée l’année dernière à la fête de San Cayetano. Elle m’avait dit: mon père, je suis en état de péché mortel, j’ai sept enfants et je ne les ai jamais fait baptiser. Elle ne l’avait pas fait parce qu’elle n’avait pas d’argent pour faire venir les parrains qui habitaient loin, ou pour payer la fête, parce qu’elle devait toujours travailler… Je lui ai proposé de venir me voir pour en parler. Nous nous sommes téléphoné, elle est venue me trouver, elle me disait qu’elle n’arrivait jamais à trouver tous les parrains et à les réunir tous ensemble… À la fin, je lui ai dit: faisons tout avec deux parrains seulement, qui représenteront les autres. Ils sont tous venus ici et, après une petite catéchèse, je les ai baptisés dans la chapelle de l’archevêché. Après la cérémonie, nous avons offert quelques rafraîchissements. Du coca cola et des sandwichs. Elle m’a dit: mon père, je n’arrive pas à y croire, grâce à vous je me sens importante… Je lui ai répondu: mais Madame, je n’y suis pour rien. C’est Jésus qui vous fait devenir importante.

Le cardinal Jorge Mario Bergoglio salue les fidèles près du sanctuaire de San Cayetano, dans le quartier de Liniers, à Buenos Aires, le 7 août 2009
JORGE MARIO BERGOGLIO: La Conférence de l’épiscopat latino-américain qui s’est déroulée en 2007 à Aparecida nous a recommandé d’annoncer l’Évangile en allant vers les gens, et non en restant assis dans notre Curie ou notre presbytère à attendre que ceux-ci viennent à nous. Dans son avant-avant dernier paragraphe, le document d’Aparecida, faisant un saut de trente ans en arrière, revient à l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi de Paul VI, qui décrivait la «ferveur apostolique» comme «la douce et réconfortante joie d’évangéliser», de «proclamer dans la joie une Bonne Nouvelle que l’on a apprise grâce à la miséricorde du Seigneur». Mais cela ne veut pas dire qu’il faille programmer des initiatives ou des événements extraordinaires. Le texte de l’exhortation répétait justement que «si le Fils est venu, c’est précisément pour nous révéler à travers sa parole et sa vie, les sentiers ordinaires du salut». Il s’agit d’un ordinaire qui peut se faire de manière missionnaire, et à cet égard, le baptême est exemplaire. Je crois que c’est dans cet esprit que les curés de Buenos Aires ont mené leur action.
Pensez-vous que le souci de faciliter le baptême soit lié à des situations particulières et locales, ou qu’il s’agisse d’une option qui peut être conseillée à tout le monde?
BERGOGLIO: Le souci de favoriser par tous les moyens l’administration du baptême et des autres sacrements concerne l’Église tout entière. Si l’Église suit son Seigneur, si elle sort d’elle-même avec courage et miséricorde, elle ne reste pas enfermée dans sa position autoréférentielle. Le Seigneur opère un changement dans le cœur de ceux qui lui sont fidèles, Il élève leur regard au-dessus d’eux-mêmes. Là est la mission, là est le témoignage.
Dans le vade-mecum sur le baptême préparé et distribué par le diocèse de Buenos Aires, on répond aux critiques possibles de ceux qui disent que les sacrements ne doivent pas être «bradés» et qu’il faut garder fermement les conditions requises de préparation et de disposition. Ces critiques sont-elles légitimes?
BERGOGLIO: Il n’y a aucun “bradage”, aucun rabais. Les curés s’en tiennent aux indications données par les évêques de la région pastorale de Buenos Aires, qui respectent toutes les conditions rappelées par le Code de droit canonique, selon le critère de base défini dans le dernier canon: la loi suprême est le salut des âmes.
Pensez-vous que soient justifiés, en quelque manière, les cas où le baptême est refusé aux enfants parce que leurs parents ne vivent par une situation matrimoniale régulière selon le Droit canonique?
Chez nous, ceci voudrait dire que l’on ferme les portes de l’Église. L’enfant n’est nullement responsable de l’état du mariage de ses parents, et souvent, le baptême des enfants devient pour les parents eux-mêmes un nouveau début. D’habitude, on fait une petite catéchèse d’environ une heure avant le baptême, et puis une catéchèse mystagogique pendant la liturgie. Ensuite, les prêtres et les laïcs rendent visite à ces familles pour continuer avec elles la pastorale post-baptismale. D’ailleurs, il arrive souvent que les parents, qui n’étaient pas mariés à l’église, demandent à se présenter devant l’autel pour célébrer le sacrement du mariage.
Il arrive parfois que les ministres ou les opérateurs pastoraux adoptent une attitude presque “patronale”, comme si la décision de concéder ou non les sacrements était entre leurs mains.
BERGOGLIO: Les sacrements sont des gestes du Seigneur, pas des prestations ou des terres de conquêtes de prêtres ou d’évêques. Dans notre pays, si vaste, il y a beaucoup de petits villages difficiles à atteindre, dans lesquels le prêtre ne passe qu’une ou deux fois par an. Mais la piété populaire sent que les enfants doivent être baptisés le plus tôt possible, et alors il y a toujours un laïc ou une laïque connus de tous comme bautizadores, qui baptisent les enfants à leur naissance, en attendant que le prêtre arrive. Lorsqu’il arrive, on lui apporte l’enfant pour qu’il lui applique l’huile sainte pour achever la cérémonie. Quand j’y pense, je suis toujours surpris par l’histoire de ces communautés chrétiennes du Japon qui étaient restées sans prêtres pendant plus de deux cents ans. Lorsque les missionnaires sont revenus, ils les ont trouvés tous baptisés, tous validement mariés aux yeux de l’Église, et tous leurs défunts avaient reçu une sépulture chrétienne. Ces laïcs n’avaient reçu que le baptême, et en vertu de leur baptême, ils avaient aussi vécu leur mission apostolique.
Certains pensent que, sans une conscience adéquate et sans préparation, le rite sacramentel risque de devenir une sorte de “magie”, ou quelque chose de mécanique. Qu’en pensez-vous?
BERGOGLIO: Personne ne pense que l’on ne doive pas faire de catéchèse, ni préparer les enfants à la confirmation et à la communion. Mais il faut toujours regarder notre peuple tel qu’il est, et voir ce qui est le plus nécessaire. Les sacrements sont faits pour la vie des hommes et des femmes tels qu’ils sont, des gens qui ne font peut-être pas de grands discours, mais qui sont dotés d’un sensus fidei apte à saisir ute;nages. Elle avait ces enfants de deux hommes différents. Je l’avais rencontrée l’année dernière à la fête de San Cayetano. Elle m’avait dit: mon père, je suis en état de péché mortel, j’ai sept enfants et je ne les ai jamais fait baptiser. Elle ne l’avait pas fait parce qu’elle n’avait pas d’argent pour faire venir les parrains qui habitaient loin, ou pour payer la fête, parce qu’elle devait toujours travailler… Je lui ai proposé de venir me voir pour en parler. Nous nous sommes téléphoné, elle est venue me trouver, elle me disait qu’elle n’arrivait jamais à trouver tous les parrains et à les réunir tous ensemble… À la fin, je lui ai dit: faisons tout avec deux parrains seulement, qui représenteront les autres. Ils sont tous venus ici et, après une petite catéchèse, je les ai baptisés dans la chapelle de l’archevêché. Après la cérémonie, nous avons offert quelques rafraîchissements. Du coca cola et des sandwichs. Elle m’a dit: mon père, je n’arrive pas à y croire, grâce à vous je me sens importante… Je lui ai répondu: mais Madame, je n’y suis pour rien. C’est Jésus qui vous fait devenir importante.