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«Si je n’ai pas la charité, je peux avoir les autres biens, mais ils ne me sont pas utiles»
PADOUE, 17 AVRIL 2007
«Si je n’ai pas la charité, je peux avoir les autres biens, mais ils ne me sont pas utiles»
Du livre de Giacomo Tantardini, Il tempo della Chiesa secondo Agostino.Seguire e rimanere in attesa. La felicità in speranza (Le temps de l’Église selon Augustin. Suivre et rester en attente. Le bonheur en espérance), édité par Città Nuova, nous publions une des leçons tenues lors des Colloques sur l’actualité de saint Augustin à l’Université de Padoue
par Giacomo Tantardini

Giacomo Tantardini, Il tempo della Chiesa secondo Agostino: seguire e rimanere in attesa. La felicità in speranza, Città Nuova, Rome 2009, 388 p., 22,00 euros
Je remercie Monsieur le Professeur Fellin de nous avoir fait part aussi de sa curiosité concernant ce dernier point*. Cela m’a immédiatement frappé. Augustin répète lui aussi en effet que «Dieu s’est fait homme pour que les hommes deviennent Dieu»1. Pour qu’ils deviennent Dieu non pas en vertu de leur nature mais en vertu de l’événement de grâce par lequel Dieu s’est fait homme2. Une lecture peut-être moins schématique et certainement plus complète des traditions théologiques occidentales et orientales devrait éviter l’opposition entre une théologie orientale orientée vers la divinisation et une théologie occidentale orientée vers la rédemption du péché. Dans les deux traditions, l’accent est certainement mis sur des aspects différents mais on pourrait peut-être, en évitant de partir de ce schéma, arriver à une compréhension plus juste de ces deux traditions.
Je prends un autre exemple. On a l’habitude d’opposer la théologie trinitaire des Pères grecs à la théologie trinitaire des Pères latins: les premiers auraient cherché à expliquer le mystère en partant de la distinction des trois Personnes pour arriver à affirmer l’unité de nature; les latins au contraire, et Augustin en particulier, seraient partis de l’unité de nature pour arriver à distinguer les trois Personnes. Mais il suffit de lire le De Trinitate d’Augustin pour se rendre compte que, depuis le début, le mouvement de pensée va de la distinction des Personnes à l’unité de nature et non l’inverse. Comme Athanase et Basile, Augustin passe de la réflexion sur les trois Personnes à la réflexion sur la substance. Quoiqu’il en soit, ces observations ne sont qu’une première tentative de réponse.
Je remercie en outre Monsieur le Professeur Fellin d’avoir parlé de la création avec le temps. Mon premier essai, lors de ma première année de Théologie à Venegono, portait précisément sur le De Deo creatore. Avant la création, il n’y a pas de temps et la création est création avec le temps. Je remercie enfin Monsieur le Professeur de toutes ses observations sur l’esprit concret et le réalisme qui caractérisent de façon surprenante Augustin quand il parle des deux cités.
En conclusion des rencontres de cette année, je voudrais aujourd’hui parler, en partant de certains passages du livre de Ratzinger sur saint Augustin3, de ce qui, pour Augustin et pour le chrétien, est le cœur de l’événement chrétien, à savoir la charité.
Je voudrais commencer par une observation qui servira à relier la leçon de la fois dernière à celle d’aujourd’hui. Dans la dernière leçon, nous avons dit, en nous référant surtout aux écrits anti-donatistes d’Augustin, c’est à dire aux écrits contre le schisme de Donat, que l’horizon des donatistes était l’unité de l’Église. Augustin a, lui, pour horizon, la présence actuelle de l’avènement de Jésus-Christ; l’unité de l’Église est en effet le résultat de Sa présence. Le passage de la perspective donatiste à la perspective augustinienne peut se définir comme le passage de l’ unitas à la caritas unitatis. Les donatistes ont pour horizon l’unité de la communauté, avec les conséquences parfois tragiques de cette perspective: n’oublions pas que, comme nous l’avons dit la dernière fois, le donatisme a parfois conduit à des actions violentes, terroristes, à l’égard non seulement des catholiques mais aussi de leur popre communauté4. Lorsque l’horizon est la communauté et non l’avènement gratuit de Jésus-Christ qui édifie son Église, s’introduit «une impureté qui altère les jugements et les rapports»5 et qui aboutit à la violence. Chez Augustin, le passage de l’unitas à la caritas unitatis, à la source même de l’unité, l’attirance Jésus, est évident. Augustin dans le De civitate Dei dit que caritas, amor et dilectio sont des termes identiques, qu’ils indiquent la même dynamique, le même contenu6. Le terme charité, le terme amour, le terme dilection peuvent, du point de vue chrétien, se ramener à ce qui est, selon moi, l’expression la plus belle de don Giussani: l’attirance Jésus.
1 «Caritas pour Augustin est synonyme de grâce et d’Esprit saint»7
1.1 LA CHARITÉ EST SI IMPORTANTE QUE SANS ELLE, ON POSSÈDE EN VAIN TOUTES LES AUTRES CHOSES
IN EVANGELIUM IOANNIS IX, 8
Quisquis itaque nominat Patrem et Filium, oportet ibi intellegat tamquam caritatem invicem Patris et Filii, quod est Spiritus Sanctus. Fortassis enim discussae Scripturae: quod non sic dico, ut hodie docere possim, aut quasi aliud inveniri non possit: sed tamen fortasse scrutatae Scripturae indicant quod Spiritus Sanctus caritas est. Et ne putetis vilem esse caritatem. Quomodo autem vilis est, quando omnia quae dicuntur non vilia, cara dicuntur? Si ergo quae non sunt vilia, cara sunt; quid est carius ipsa caritate? Sic autem commendatur caritas ab Apostolo, ut dicat: «Supereminentiorem viam vobis demonstro. Si linguis hominum loquar et angelorum, caritatem autem non habeam, factus sum aeramentum sonans, aut cymbalum tinniens: et si sciero omnia sacramenta et omnem scientiam, et habuero prophetiam et omnem fidem, ita ut montes transferam, caritatem autem non habeam, nihil sum: et si distribuero omnia mea pauperibus, et tradidero corpus meum ut ardeam, caritatem autem non habeam, nihil mihi prodest». Quanta est ergo caritas, quae si desit, frustra habentur caetera; si adsit, recte habentur omnia? Tamen caritatem laudans apostolus Paulus copiosissime atque uberrime, minus de illa dixit quam quod ait breviter apostolus Ioannes, cuius est hoc Evangelium. Neque enim dubitavit dicere: «Deus caritas est». Scriptum est etiam: «Quia caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum qui datus est nobis». Quis ergo nominet Patrem et Filium, et non ibi intellegat caritatem Patris et Filii? Quam cum habere coeperit, Spiritum Sanctum habebit: quam si non habuerit, sine Spiritu Sancto erit. Et quomodo corpus tuum sine spiritu, quod est anima tua, si fuerit, mortuum est; sic anima tua sine Spiritu Sancto, id est, sine caritate si fuerit, mortua deputabitur. Ergo «metretas binas capiebant hydriae», quia in omnium temporum prophetia Pater et Filius praedicatur: sed ibi est et Spiritus Sanctus; ideoque adiunctum est, «vel ternas. Ego et Pater», inquit, «unum sumus»: sed absit ut desit Spiritus Sanctus, ubi audimus: «Ego et Pater unum sumus». Tamen quia Patrem et Filium nominavit, capiant «hydriae binas metretas»; sed audi, «vel ternas: Ite, baptizate gentes in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti». Itaque in eo quod dicuntur binae, non exprimitur, sed intellegitur; in eo vero quod dicuntur vel ternae, etiam exprimitur Trinitas.
«Quisquis itaque nominat Patrem et Filium, oportet ibi intellegat tamquam caritatem invicem Patris et Filii, quod est Spiritus Sanctus. / Il convient que toute personne qui reconnaît [toute personne qui nomme] le Père et le Fils reconnaisse là [dans le mystère du Père et du Fils] l’amour mutuel du Père et du Fils qui est l’Esprit saint. / Fortassis enim discussae Scripturae: quod non sic dico, ut hodie docere possim, aut quasi aliud inveniri non possit: sed tamen fortasse scrutatae Scripturae indicant quod Spiritus Sanctus caritas est / [Augustin dit qu’il ne veut pas approfondir cette affirmation. Il est en effet en train de parler aux fidèles et il n’a pas l’intention de procéder à une exégèse détaillée des textes. Il affirme donc que] … les Écritures examinées indiquent que l’Esprit saint est la charité». La caritas, l’amor, la dilectio sont l’Esprit saint. Nous parlerons ensuite des précisions qu’apporte saint Thomas d’Aquin sur ce rapport entre l’Esprit saint et la charité et de la distinction, que l’on ne peut pas ne pas reconnaître, entre don non créé et don créé. Le don non créé est l’Esprit saint, le don créé est la grâce sanctifiante que l’Esprit saint crée en embrassant la liberté de l’homme, en informant la volonté de l’homme.
«Et ne putetis vilem esse caritatem. / Et n’allez pas croire que la charité est quelque chose de peu de prix. / Quomodo autem vilis est, quando omnia quae dicuntur non vilia, cara dicuntur? / Comment pouvons-nous considérer que la charité est de peu de prix, lorsque toutes les choses dont nous disons qu’elles ont du prix, nous les appelons chères? [Ici Augustin joue sur la ressemblance des mots carus et caritas] / Si ergo quae non sunt vilia, cara sunt, quid est carius ipsa caritate? / Si donc les choses qui ne sont pas de peu de prix sont chères, qu’y a-t-il de plus cher que la charité? / Sic autem commendatur caritas ab Apostolo, ut dicat: / Ainsi l’Apôtre [Paul] a loué la charité lorsqu’il a dit: / “Supereminentiorem viam vobis demonstro” [1Co 12, 31] / “Je vais vous montrer une voie qui dépasse toutes les autres”». Pour Paul, la voie du chrétien est la charité et en même temps, dit-il dans l’Épître aux Hébreux, elle est la chair du Christ ressuscité (Cf. He 10, 20). La voie sur laquelle marche le chrétien, sur laquelle non seulement le chemin et le but lui sont indiqués mais aussi (pour employer une expression familière et évangélique) il est pris dans les bras, il est soutenu dans sa marche, cette voie est en même temps la delectatio et la dilectio8, c’est-à-dire la charité et Jésus-Christ dans Sa chair ressuscitée, dans Son corps ressuscité.
Puis Augustin cite le passage bien connu de saint Paul: «“Si linguis hominum loquar et angelorum, caritatem autem non habeam, factus sum aeramentum sonans, aut cymbalum tinniens: / “Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, je ne suis qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit; / et si sciero omnia sacramenta / et quand je connaîtrais tous les mystères…»: le latin traduit souvent le mot grec mysterion (mysterion) par le mot sacramentum et cette identité entre mystère et sacrement est profondémenr chrétienne. Pour le chrétien, les mystères (que l’on pense, par exemple, aux mystères du saint rosaire) ne sont pas avant tout les vérités que la raison ne peut comprendre (que l’on voie les deux mystères principaux de la foi): pour le chrétien, le mystère est avant tout la révélation de Dieu dans l’histoire, tant il est vrai que le mystère par excellence est le sacrement de l’Eucharistie, le mysterium fidei, c’est-à-dire la révélation sacramentelle de l’ineffable mystère de Dieu.
Reprenons Augustin: «… quand je connaîtrais tous les mystères / et omnem scentiam / et toute la science, / et habuero prophetiam / Combien est donc importante la charité, / quae si desit, frustra habentur caetera; / sans laquelle on a en vain toutes les autres choses». Tel est le mystère de l’Église: les autres choses ne sont pas de peu de prix, mais sans caritas, sans l’amor, sans la dilectio, sans l’attirance Jésus, sans Sa présence qui attire la liberté avec rapidité (prompte) et plaisir (delectabiliter) – parce que c’est cela la charité9 –, on a les autres choses en vain. Sans la caritas, les autres choses ne mettent pas en mouvement la liberté10.
Augustin poursuit: «si adsit, recte habentur omnia? / mais si au contraire [la charité] est présente, toutes les autres choses sont vraiment elles-mêmes [recte habentur: nous pourrions aussi traduire: sont belles11]! / Tamen caritatem laudans apostolus Paulus copiosissime atque uberrime, / Cependant, même si l’apôtre Paul loue la charité en des termes si abondants et si féconds, / minus de illa dixit quam quod ait breviter apostolus Ioannes, / il en dit moins que ce qu’a dit brièvement l’apôtre Jean / cuius est hoc Evangelium. / dont je suis en train de commenter l’Évangile. / Neque enim dubitavit dicere: “Deus caritas est [1Jn 4, 16]. / Jean n’a pas hésité à dire: “Dieu est charité”. / Scriptum est etiam: / Et il est même écrit [dans Paul]: / “Quia caritas Dei / “La charité de Dieu / diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum qui datus est nobis” [Rm 5, 5]. / a été répandue dans nos cœurs [non par nous12] à travers l’Esprit saint qui nous a été donné”. / Quis ergo nominet Patrem et Filium, et non ibi intellegat caritatem Patris et Filii? / Qui peut nommer le Père et le Fils et ne pas reconnaître la charité [c’est-à-dire la correspondance] du Père et du Fils?». Les mots dilectio, amor, caritas peuvent, quand ils indiquent l’Esprit saint, être traduits en français par le terme correspondance entre le Père et le Fils. La charité de l’Esprit saint n’est pas seulement un amour qui se donne, elle est aussi correspondance d’amitié, ou, comme dit saint Hilaire, «jouissance du don»13. Ainsi notre Dieu est plénitude de bonheur. L’Esprit saint est la correspondance, la jouissance du don du Père au Fils. Dans le mystère de la Trinité, il y a une infinie correspondance de bonheur. L’Esprit saint est cette expérience, si l’on peut s’exprimer ainsi, de correspondance, de jouissance dans le don du Père et du Fils.
Augustin poursuit: «Quam cum habere coeperit, Spiritum Sanctum habebit: quam si non habuerit, sine Spiritu Sancto erit. / Et celui qui commence à avoir la charité [ici aussi il est intéressant de noter le verbe habere, avoir, différent du verbe tenere / posséder14. C’est si vrai qu’il est possible de perdre la charité. On a la charité comme une grâce qui a été donnée], a l’Esprit saint, et quiconque n’a pas la charité, n’a pas l’Esprit saint. / Et quomodo corpus tuum sine spiritu, quod est anima tua, si fuerit, mortuum est; / Et de même que ton corps, sans l’esprit, qui est ton âme, serait mort, / sic anima tua sine Spiritu Sancto, id est, sine caritate, si fuerit, mortua deputabitur; / de même ton âme, sans l’Esprit saint, c’est-à-dire sans la charité, devrait être considérée comme morte».
2 «Caritas et Ecclesia se tiennent si étroitement ensemble que, en un certain sens, on peut les considérer comme identiques»15.
L’Ecclesia est la visibilité de la caritas, est la visibilité de l’attirance Jésus. L’attirance Jésus, en rencontrant les personnes et en les attirant à Jésus, les rend visiblement Église. L’Église est la visibilité de cette attirance d’amour. «Caritas et Ecclesia se tiennent si étroitement ensemble que, dans un certain sens, on peut les considérer comme identiques»16.
Il est aussi important que Ratzinger dise «en un certain sens», parce que, nous verrons plus tard comment on peut et on doit les distinguer.
2.1 L’UNITÉ DU CHRIST
IN EVANGELIUM IOANNIS VI, 21
Sed, inquies, habeo sacramentum. Verum dicis: sacramentum divinum est; habes baptisma, et ego confiteor. Sed quid dicit idem Apostolus? «Si sciero omnia sacramenta, et habuero prophetiam et omnem fidem, ita ut montes transferam»: ne forte et hoc diceres: Credidi, sufficit mihi. Sed quid dicit Iacobus? «Et daemones credunt, et contremiscunt». Magna est fides, sed nihil prodest si non habeat caritatem. Confitebantur et daemones Christum. Ergo credendo, sed non diligendo dicebant: «Quid nobis et tibi?». Fidem habebant, caritatem non habebant: ideo daemones erant. Noli de fide gloriari; adhuc daemonibus comparandus es. Noli dicere Christo: Mihi et tibi quid est? Unitas enim Christi tibi loquitur. Veni, cognosce pacem, redi ad viscera columbae. Foris baptizatus es; habeto fructum, et redis ad arcam.
Augustin s’adresse aux donatistes.
«Unitas enim Christi / L’unité du Chris [ici aussi, c’est beau, nous l’avons dit la dernière fois: l’unité de l’Église est l’unitas Christi, est l’unité que le Christ réalise. Unitas Christi équivaut à Ecclesia Christi] / tibi loquitur. Veni, cognosce pacem, redi ad viscera columbae. / s’adresse à toi [au donatiste, à celui qui est séparé] et te dit: viens, connais la paix [fais l’expérience de la paix c’est-à-dire de la communion. Pax et communicatio], rentre dans le coeur de la colombe [l’image de l’Église comme colombe]. / Foris baptizatus es; / Tu as été baptisé en dehors [de l’unité de l’Église. Rappelez-vous la déclaration d’Augustin: «Tu as été baptisé en dehors de l’utérus de l’Église / de semine viri sui / mais de la semence de Son époux»17. Le baptême en dehors de l’Église est lui aussi le baptême du Christ, c’est toujours le Christ qui baptise18]; / habeto fructum, et redis ad arcam / aie du fruit [c’est-à-dire la charité, qui est le fruit du baptême, le fruit du sacrement] et reviens ainsi à l’arche». La charité te mène au cœur de l’Église.
3 «Ceux qui se trouvent dans l’Église ne lui appartiennent pas tous réellement, c’est-à-dire n’ont pas réellement la caritas»19.
Celui qui est dans l’Église mais n’a pas la caritas, dit, en reprenant les paroles d’Augustin, le Concile œcuménique Vatican II dans la constitution dogmatique Lumen gentium (n° 14), est avec son corps dans l’Église mais avec son cœur hors de l’Église20.
«Certes, celui qui est dans la catholica appartient apparemment à l’épouse et a ainsi apparemment la caritas, tant l’Ecclesia juridiquement structurée est intimement liée à la caritas. Mais cette participation externe, visible, à la caritas n’est pas suffisante; il peut lui manquer la réalité intérieure et donc tout»21.
3.1 SI JE N’AI PAS LA CHARITÉ, JE PEUX AVOIR LES AUTRES DONS MAIS ILS NE ME SONT PAS UTILES
SERMO AD CAESARIENSIS ECCLESIAE PLEBEM 3
Et quid non habent, ait mihi aliquis, qui haec habent? Tu dicis: Habent baptismum Christi. Dico. Tu dicis: Habent fidem Christi. Dico. Si ergo haec habent, quid non habent? Quid est baptismus? Sacramentum. Audi Apostolum: «Si sciero omnia sacramenta». Multum est scire omnia Dei sacramenta. Quantacumque sciamus sacramenta, quis novit Dei omnia sacramenta? Quid ait Apostolus? «Si sciero omnia sacramenta, si habeam omnem prophetiam». Adde adhuc, «et omnem scientiam». Sed de fide dixeras. Audi adhuc: «Si habeam omnem fidem». Difficile est habere omnem fidem, quomodo difficile est noscere omnia sacramenta. Et quid est quod dicit, «omnem? Ita ut montes transferam; caritatem autem non habeam, nihil sum». Intendite, fratres; intendite, obsecro vos, Apostoli vocem, et videte quare cum tantis laboribus et periculis fratres nostros quaeramus. Caritas eos quaerit de cordibus nostris. «Propter fratres meos et propinquos meos», dicit Psalmus, «loquebar pacem de te», ad sanctam Ierusalem loquens. Videte ergo, fratres mei, quid dixit Apostolus: «Si habuero omnia sacramenta, omnem scientiam, prophetiam, fidem». Qualem fidem? «Ita ut montes transferam; caritatem autem non habeam, nihil sum». Non dixit: Illa omnia nihil sunt; sed: «si caritatem non habeam, nihil sum». Quis enim demens diceret: Nihil sunt Dei sacramenta? Quis demens diceret: Nihil est prophetia, nihil scientia, nihil fides? Non illa nihil sunt; sed cum illa magna sint, ego magna habens, «si caritatem non habeam, nihil sum». Magna illa sunt, et magna habeo, et nihil sum si caritatem non habeo, per quam mihi prosunt quae magna sunt. Si enim non habeo caritatem, illa inesse possunt, prodesse non possunt. Ideo te quaero, ut hoc sacramentum sit tibi in salutis adiutorium, non in damnationis testimonium.
Augustin est en train de parler du donatiste Émérite aux fidèles de l’Église de Césarée: «Et quid non habent, ait mihi aliquis, qui haec habent? / Et qu’est-ce qu’ils n’ont pas, me dira-t-on, ceux qui ont tout cela? [tout cela c’est le baptême, le Credo, l’eucharistie] / Tu dicis: Habent baptismum Christi. / Vous dites: ils ont le baptême du Christ [les donatistes l’ont, le baptême du Christ]. / Dico. Tu dicis: Habent fidem Christi. / Assurément. Tu dis: ils ont la foi du Christ [la foi du baptême est la même: le Credo des apôtres]. / Dico. Si ergo haec habent, quid non habent? / Sans aucun doute. S’ils ont tout cela [s’ils ont la même foi, les mêmes sacrements], qu’est-ce donc qu’ils n’ont pas? / Quid est baptismus? Sacramentum. / Qu’est-ce que le baptême? Un sacrement. / Audi Apostolum: “Si sciero omnia sacramenta”. / Écoutez l’Apôtre [et ici il reprend le passage sur la charité de saint Paul]: “Quand je connaîtrais tous les mystères” [tous les sacrements]. / Multum est scire omnia Dei sacramenta. / C’est beaucoup que de connaître tous les mystères de Dieu. / Quantacumque sciamus sacramenta, quis novit Dei omnia sacramenta? / Si grand que soit le mombre de mystères que nous connaissions, qui pourrait dire qu’il connaît tous les mystères de Dieu? / Quid ait Apostolus? “Si sciero omnia sacramenta, si habeam omnem prophetiam”. / Mais que dit l’Apôtre? “Quand je connaîtrais tous les mystères, quand j’aurais tout le don de prophétie”. / Adde adhuc, “et omnem scientiam”. / Et ajoutez encore: “Quand je connaîtrais la totalité de la science”. / Sed de fide dixeras. / Mais vous aviez parlé de la foi. / Audi adhuc: / Écoutez celui qui ajoute: / “Si habeam omnem fidem”. / “Quand j’aurais toute la foi”. / Difficile est habere omnem fidem, quomodo difficile est noscere omnia sacramenta / Il est difficile d’avoir toute la foi...»: il faudrait ici distinguer la foi, vertu théologale, de la foi comme don particulier de l’Esprit (cf. 1Co 12, 9), qui est la foi qui accomplit des miracles, celle dont parle Augustin et dont parle Paul. Il y a un très beau passage de saint Cyrille de Jérusalem, qui m’apporte un grand réconfort et qui dit que, pour obtenir la foi qui fait des miracles, il suffit de s’en tenir à la foi du Credo22. Les miracles sont un don du Seigneur. Si vous adhérez à la foi du Credo, le Seigneur peut éventuellement vous donner aussi la foi qui transporte les montagnes.
Reprenons Augustin: «Il est difficile d’avoir toute la foi, comme il est difficile de connaître tous les mystères. / Et quid est quod dicit, “omnem”? / Et que veut dire avoir “toute la foi”? / “Ita ut montes transferam; / “Une foi à transporter les montages [rappelez-vous la parole de Jésus: «Si vous avez de la foi gros comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne: déplace-toi...» (Mt 17, 20)], /