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Tiré du n° 03 - 2004

USA ET LE SAINT-SIÈGE. Le long chemin


La présentation de la deuxième édition en italien* du livre de Jim Nicholson, ambassadeur des États-Unis près le Saint-Siège, à l’Université pontificale du Latran, le 31 mars 2004. Les interventions du sénateur Giulio Andreotti, du cardinal Jean-Louis Tauran et de l’auteur


Giulio Andreotti


La table des intervenants: depuis la gauche, le sénateur Giulio Andreotti, l’éditeur du livre Giovanni Cubeddu, le cardinal Jean-Louis Tauran et l’ambassadeur américain près le Saint-Siège Jim Nicholson

La table des intervenants: depuis la gauche, le sénateur Giulio Andreotti, l’éditeur du livre Giovanni Cubeddu, le cardinal Jean-Louis Tauran et l’ambassadeur américain près le Saint-Siège Jim Nicholson

GIULIO ANDREOTTI:
Notre revue 30Giorni nella Chiesa e nel mondo a été très heureuse de publier, pour le XXe anniversaire de l’instauration des relations diplomatiques entre les États-Unis d’Amérique et le Saint-Siège, l’analyse historique de la longue période qui a précédé ces relations. Une période qu’il est devenu d’autant plus difficile de comprendre que les nonciatures et les ambassades correspondantes, qui étaient au nombre de trente-huit en 1939, sont passées au cours du pontificat de Jean Paul II de cent huit à cent soixante-douze.
Votre mission, Monsieur l’ambassadeur, restera dans l’histoire dans la mesure où c’est vous qui avez présenté au Pape vos lettres de créance quelques heures après le 11 septembre 2001 qui, avec l’attentat de New York, a ouvert un angoissant problème global. Problème que personne ne peut éluder et qui demande à chacun réflexion et sacrifices. Bush a eu la sagesse de déclarer immédiatement que Ben Laden est un traître à sa religion et a repoussé ainsi la tentation d’une croisade anti-islamique, qui était peut-être ce qu’avaient visé et ce que cherchent encore à provoquer les néo-terroristes.
La seconde édition de cette monographie sort enrichie, à côté d’une analyse historique et de mises au point de grande actualité, de deux préfaces: celle du cardinal Jean-Louis Tauran (extraordinaire artisan de la diplomatie pontificale) et du secrétaire d’État Colin Powell au sujet duquel, il y a bien des années, au cours d’une réunion à laquelle il participait en tant que chef d’État-major, je fis très spontanément la remarque qu’il avait plus l’air d’un diplomate que d’un militaire.
Notre revue 30Giorni nella Chiesa e nel mondo a été très heureuse de publier, pour le vingtième anniversaire de l’instauration des relations diplomatiques entre les États-Unis d’Amérique et le Saint-Siège, l’analyse historique de la longue période qui a précédé ces relations. Une période qu’il est devenu d’autant plus difficile de comprendre que les nonciatures et les ambassades, qui étaient au nombre de trente-huit en 1939, sont passées au cours du pontificat de Jean Paul II de cent huit à cent soixante-douze
Dans les pages de chronique historique de cet essai, Pie IX fait l’objet d’un singulier jugement. Les grandes ouvertures du début de son pontificat avaient été commentées là-bas de façon très favorable, mais on n’avait pas été jusqu’à approuver le commandant du bateau Constitution qui, dans la rade de Gaète, avait accueilli pour une visite à bord le Pape qui était en exil dans cette ville. L’officier fut mis aux arrêts et mourut au cours du procès. Il faut peut-être noter – et j’ai moi-même trouvé des éléments qui vont dans ce sens au cours de mes études sur Pie IX – que, culturellement, le peuple américain était plus enclin à comprendre la République romaine que l’État Pontifical et l’autoritarisme des monarchies.
Du reste, les réfugiés qui avaient fui l’État pontifical restauré furent largement accueillis [aux États-Unis]. On peut admirer dans le palais du Congrès à Washington le plafond de la grande salle centrale, œuvre du peintre Costantino Brumidi qui, comme on dit, prit le large au retour de Pie IX et trouva de l’autre côté de l’Océan hospitalité et commandes de peinture.
La crainte que les Américains conservent toujours au fond d’eux-mêmes dans leurs rapports avec Rome, vient du souci jaloux de préserver la Constitution de toute discrimination ou infiltration religieuse. Attention: ce n’est pas du tout une accusation d’agnosticisme.
Je voudrais rappeler ici le président De Gasperi qui, tout occupé qu’il fût par le problème angoissant des moyens de subsitance pour l’Italie, dit avec une grande émotion, au retour de son voyage aux États-Unis, que ce qui l’avait le plus frappé, c’était l’inscription dans le cimetière d’Arlington où le Soldat inconnu est «inconnu de tous mais non de Dieu».
L’ambassadeur Nicholson consacre dans sa monographie des pages très importantes à la construction, qui fut complexe, des rapports entre Saint-Siège et États-Unis. On y trouve la longue mission là-bas de l’envoyé pontifical, le cardinal Satolli, à la fin du XIXe siècle, et le difficile établissement du rapport avec l’épiscopat; on y trouve la réaction très majoritairement défavorable au projet d’envoyer le général Clark comme représentant stable à Rome (1069 lettres contre, 186 pour); on y découvre les procédures subtiles visant à résoudre ou à empêcher la solution en la présentant comme un problème de dépense publique et donc comme étant du ressort du Sénat.
L’histoire entrelacée de deux grands personnages – le président Roosevelt et Pie XII – (et même auparavant encore le cardinal Pacelli dans son voyage outre-Atlantique voulu par Pie XI) représente un moment de rencontre, avec la recherche de racines communes dans la politique sociale de Roosevelt et dans la doctrine sociale de l’Église.
Le gouvernement américain a beaucoup encouragé la non-belligérance de l’Italie et a apprécié les efforts du Vatican sur ce point, y compris la visite du Pape au Quirinal, en décembre 1939, laquelle sembla, sur le moment, avoir atteint son but. Les historiens n’ont toujours pas donné d’explication claire et documentée de la raison pour laquelle Mussolini décida d’entrer en guerre. Ce dont on a la preuve, c’est que le potentiel guerrier américain fut sous-estimé. Dans les archives de ce qui était alors notre Ministère de la Guerre se trouve un rapport très détaillé de l’attaché militaire à Washington, le général Marras, sur ce gigantesque potentiel. On y lit une note singulière indiquant que ce rapport ne devait pas être transmis au ministre (qui – je le souligne – était Mussolini lui-même).
Jean-Louis Tauran avec Jim Nicholson

Jean-Louis Tauran avec Jim Nicholson

L’entrée en guerre de l’Italie entraîna de graves désagréments pour le corps diplomatique, qui fut obligé de se réfugier à l’intérieur des murs apostoliques. Le numéro deux de la Représentation, M. Tittman, s’installa au Vatican mais, grâce à des accords avec le gouvernement italien – qui s’occupa de son voyage via Lisbonne –, le 17 septembre 1942, Myron Taylor put venir pour deux semaines. Au cours de ce séjour, il eut non seulement de nombreux entretiens avec la Secrétairerie d’État, mais il fut reçu deux fois personnellement par le Saint-Père.
Voici une dépêche de l’ambassadeur italien Guariglia, adressée au ministre Ciano (que je transcris): «Au nom du président Roosevelt, Taylor aurait dit à Sa Sainteté que l’alliance et la collaboration de l’Amérique et de l’Angleterre avec la Russie sont fondées sur de solides bases et qu’elles sont absolument sans équivoque ou sous entendu; qu’il existe avec la Russie une solidarité non seulement de guerre mais aussi d’action politique et que l’Amérique est bien décidée à faire participer aussi la Russie bolchevique aux négociations et à l’établissement de la nouvelle paix.
Le Saint-Père aurait répondu à cette communication en demandant comment l’Amérique et l’Angleterre pouvaient bien se mettre d’accord sur les plans moraux, sociaux et économiques avec la Russie qui était le siège du communisme. Taylor aurait répondu que ces objections ne correspondaient désormais plus à l’évolution qui avait été celle du communisme aussi bien comme parti que comme pratique d’État.
[Taylor aurait dit encore que] de nombreuses atténuations avaient été apportées à la doctrine et à l’organisation soviétique, que les principes du communisme s’étaient désormais diffusés et en un certain sens avaient pénétré dans la conscience et dans les concepts du monde moderne; que c’était donc une question de forme et d’adaptation à la situation particulière de chacun des pays et des différents groupes sociaux, situation dont il fallait naturellement tenir compte mais qui mènerait nécessairement le nouvel ordre international, dans le domaine social comme dans les domaines économique et politique, à adapter et à concilier les anciens principes avec les nouveaux principes nés de la doctrine communiste».
Pendant ce temps, au Vatican, fut créé un réseau très serré d’informations visant à donner aux familles américaines des nouvelles de leurs fils qui combattaient en Europe et de nouer des rapports avec les Italiens prisonniers de guerre. Durant le Concile Vatican II, les Forces armées, dans une manifestation solennelle de remerciement, exprimèrent leur gratitude aux cardinaux et aux évêques qui, sur tous les continents, avaient donné à nos soldats des témoignages de solidarité et des nouvelles de leur famille. Parmi les vicaires aux armées, il y avait un personnage à qui nous devions une immense reconnaissance. Il s’agit de l’archevêque de New York, le cardinal Francis Spellman, qui, le premier, alors que l’Italie n’avait plus d’amis à Washington, avait pris notre défense et nous avait mis sur le chemin de notre épuisante remontée.
Je me sens, moralement aussi, le devoir de rappeler ici la grandiose activité d’assistance dont le peuple américain fit bénéficier le peuple italien après la guerre, par son aide intense et vraiment providentielle.
Depuis la gauche, les cardinaux Agostino Cacciavillan, Darío Castrillón Hoyos et Pio Laghi

Depuis la gauche, les cardinaux Agostino Cacciavillan, Darío Castrillón Hoyos et Pio Laghi

Il faut aussi rappeler avec ce souvenir la création de la Cité des enfants de la part d’un merveilleux prêtre, Mgr John Patrick Carroll-Abbing, auquel en 1987 fut conférée de façon emblématique, avec une grande solennité, la citoyenneté d’honneur de Rome.
Mais il faut encore rappeler un autre personnage qui déploya pendant longtemps une extraordinaire activité dans l’intérêt de l’Église, de l’Amérique et de l’Italie: le général Anthony Vernon Walters, qui avait combattu avec l’armée brésilienne en Toscane, attaché militaire auprès de l’ambassade des États-Unis à Rome, ambassadeur à Bonn et auprès des Nations Unies, vice-directeur de la CIA durant la direction de George Bush.
Extraordinaire polyglotte, il fut chargé par le président Eisenhower et par d’autres présidents des États-Unis de missions très délicates parmi lesquelles figurait une visite périodique au Vatican pour présenter des rapports à celui qu’il appelait avec un respect filial le “numéro un”. Les Papes et les présidents se succédaient mais Vernon Walters conservait son rôle officieux et consacrait toujours, lors de ses visites à Rome, un temps non négligeable à la prière dans l’église américaine Santa Susanna.
J’ai rappelé dans l’introduction de notre livre que, durant la visite à Rome du président John Kennedy, au cours d’un déjeuner en petit comité offert par l’ambassadeur américain, j’eus l’occasion de demander au président quand il serait possible d’ouvrir une seconde ambassade ici. Le fait qu’il fût catholique rendait-il cette hypothèse plus probable? Il répondit avec beaucoup de précision qu’il pourrait s’occuper de cette question après sa réélection. Malheureusement, John Kennedy, assassiné, ne put même pas aller au bout des quatre ans de son premier mandat.
L’ambassade près le Saint-Siège allait être ouverte par Reagan, avec son ami William Wilson que j’ai eu le plaisir de revoir ces mois derniers, alors qu’il était en visite ici, à Rome. L’ambassadeur Nicholson souligne avec une grande exactitude que le point de rencontre entre la Maison Blanche et le Pape polonais fut la prise de conscience de part et d’autre du rôle qu’ils pourraient jouer pour amorcer, à travers Solidarnosc, le déclin du régime soviétique. À son tour, Reagan, se fiant aux propos de Gorbartchev, accomplit l’exploit de réduire de moitié ses armements nucléaires.
C’est avec beaucoup de tendresse que notre pensée se tourne vers le président Reagan malade, qui, depuis de nombreuses années désormais, dans le silence de sa Californie, est au seuil d’une mort annoncée qui, comme par malice, tarde à venir.
Durant tout ce temps, non seulement les circonstances internationales n’ont pas permis de faire de nouveaux pas sur la voie du désarmement équilibré qui avait été tracée par Reagan, mais – malgré la chute du régime soviétique – elles ont vu apparaître de nouveaux fronts offensifs à l’enseigne d’un terrorisme impitoya­ble.
Dans la seconde partie de son essai, l’ambassadeur analyse certains aspects actuels du rapport avec le Saint-Siège.
La nature et les perspectives des deux entités internationales sont très différentes et leur approche des grands problèmes de la paix et du développement ne peut que partiellement coïncider. Mais il faut pourtant – particulièrement dans une phase de grande préoccupation, de recherche de modèles, de tensions de toute nature – faire un effort pour faire converger les vues, en passant par dessus les préjugés et les barrières rigides. Il faut chercher des points de rencontre objectifs dans l’élaboration même d’un modèle plus valide de restructuration de l’ONU.
Lorsque se heurtent des thèses fondamentales comme celles concernant la défense de la vie – comme cela s’est passé à la Conférence du Caire – aucune transaction n’est possible. Mais les domaines où il est possible de se comprendre et de se soutenir mutuellement ne sont pas marginaux. Tirant parti des retours de l’histoire, l’Église éducatrice peut aider à dépasser des incompréhensions et des conflits d’intérêt. Par exemple, le sujet des produits biotechnologiques qui est traité ici rappelle de près les vives polémiques que suscita en son temps l’introduction des engrais chimiques. Dans un monde en croissance que notre vision théologique ne permet pas de voir comme fatalement contredit par le manque de pain, nous devons saluer les innovations; et même les stimuler en renonçant à nos sentiments de défiance et à toutes les formes de protectionnisme.
Sur le problème épineux de l’Irak, le dialogue à plusieurs reprises ne fut pas facile.
Un moment de la présentation du livre

Un moment de la présentation du livre

Sur le plan historique, Saddam Hussein se proclama lui-même champion de l’ordre, partant en guerre – et dans une horrible guerre chimique – contre la Révolution iranienne. L’Italie fut très sage sur ce point. Les exagérations du “Guide” de Téhéran ne pouvaient certes pas ne pas susciter de craintes, mais il n’était pas sérieux de considérer Saddam comme le restaurateur du modèle impérial, lequel, d’ailleurs, dans la dernière période surtout, avait dépassé toutes les bornes. Saddam, qui reçut un soutien massif de l’Occident et de certains pays arabes (voir l’Égypte), se sentit encouragé à envahir le Koweït, convaincu que, comme il est d’usage, l’ONU se limiterait à des déclarations solennelles de désapprobation. Point, c’est tout.
On peut aussi se dire avec une certaine inquiétude historique et morale que si Saddam n’avait pas envahi le Koweït, il serait probablement encore à son poste de commande et continuerait, sans être inquiété, à persécuter les Kurdes et d’autres parties de la population; à condition toujours qu’il n’accentuât pas ses actes redoutés d’hostilité contre Israël.
Pour le reste, en l’état des choses, il n’est pas si importa­nt de vérifier – surtout au siège de cette Université – si le dictateur disposait d’armes de destruction de masse ni de combien il en disposait. Le problème est aujourd’hui de voir de quelle façon on peut favoriser dans le contexte plus qu’hétérogène de l’ex-dictature l’établissement de conditions de vie profitables à tous. Il serait injuste d’attribuer à certaines positions politiques – américaines et autres – des visées uniquement pétrolifères. Mais il est plus injuste encore de ne pas comprendre que, dans sa défense farouche de la paix, l’Église n’a absolument aucune préoccupation mercantile.
Si l’on s’en tient à une optique purement matérielle, on se heurte, entre autres choses, à de très fortes contradictions.
Une note finale en revenant à Pie IX. Si son hostilité à la guerre à l’Autriche n’avait pas été, des points de vue personnel et institutionnel, inébranlable, peut-être – je dis bien peut-être – aurait-il sauvé l’État pontifical avec un modèle confédéral, l’Italie du Nord étant la seule à être libérée et unifiée. Garibaldi et Mazzini étaient unis à Gioberti pour l’applaudir.
L’attachement indéfectible à la paix – indépendamment même des doctes citations de saint Augustin – est une ligne à laquelle on ne peut déroger et dont les papes modernes, affranchis comme ils le sont de toute implication temporelle, ne pourront jamais s’écarter.

L’ambassadeur américain près le Saint-Siège Jim Nicholson

L’ambassadeur américain près le Saint-Siège Jim Nicholson

JIM NICHOLSON:
Cette année est celle du vingtième anniversaire de l’établissement formel de relations diplomatiques entre les États-Unis et le Saint-Siège. J’ai souvent défini cette relation comme celle du plus grand pouvoir temporel et du plus grand pouvoir spirituel du monde, tous deux soucieux de promouvoir la dignité de l’homme. Quand je suis devenu ambassadeur des Étas-Unis près le Saint-Siège, j’ai compris que l’histoire de ce rapport n’était pas bien connue. Et quand la revue 30Jours s’est adressée à moi pour me demander d’en faire le récit, j’ai accueilli avec plaisir cette occasion d’apporter quelques éléments nouveaux à l’histoire des relations diplomatiques entre mon pays et le Saint-Siège.
Je voudrais remercier le sénateur Andreotti et 30Giorni de l’intérêt qu’ils portent aux États-Unis et de l’occasion qu’ils m’ont donnée de raconter l’histoire de notre rapport avec le Vatican. Je voudrais aussi remercier le vice-directeur de 30Giorni, Giovanni Cubeddu, et toute son équipe de la qualité professionnelle de leur collaboration aux deux publications du Long chemin. Cela a été un plaisir de travailler avec Giovanni. C’est un homme qui supporte avec patience les retards éditoriaux, (patience que nous avons mise à l’épreuve une fois ou deux…). Je suis honoré que son Éminence le cardinal Tauran et le secrétaire d’État Powell aient enrichi ce livre de deux préfaces dans lesquelles ils déclarent éloquemment partager les perspectives de ce rapport. Je désire enfin remercier son Excellence Mgr Fisichella pour l’intérêt qu’il porte à ce sujet et pour l’hospitalité qu’il nous offre ce soir, au Latran.
C’est un plaisir de voir tant d’amis réunis ici aujourd’hui. Je suis particulièrement heureux de la présence d’un très grand nombre de mes collègues du Vatican et des corps diplomatiques avec lesquels j’ai eu le privilège de collaborer durant ces deux ans et plus.
Lorsque j’ai commencé, il y a deux ans, à travailler à la première édition de USA et Saint-Siège. Le long chemin avec un groupe de jeunes assistants de l’université, j’ai été étonné de découvrir que les États-Unis et le Vatican étaient entrés en relation dès les premières années de la République américaine. Les premiers à avoir établi des rapports entre les deux États étaient des personnalités comme George Washington, Benjamin Franklin, le jésuite John Caroll et le pape Pie VI.
La seconde édition de Le Long chemin mène l’histoire de nos relations formelles jusqu’à leur vingtième anniversaire. Le thème central de cette période récente a naturellement été la guerre en Irak – sujet qui, dans nos relations, a donné lieu à des équivoques évidentes
Pendant deux cents ans environ, les relations diplomatiques entre les États-Unis et le Saint-Siège connurent des flux et des reflux en fonction de la situation géopolitique de chaque période historique. Les premières années virent la nomination, dans ce qui était alors l’État pontifical, de consuls et de résidents qui avaient pour rôle d’assister sur place les citoyens américains et de favoriser les intérêts commerciaux des États-Unis. Avec la chute de l’État pontifical en 1870, la relation entra dans une longue phase de pause, mais les États-Unis et le Saint-Siège n’en conservèrent pas moins des engagements réciproques,mais en maintenant diplomatiquement les distances.
Avec le déclenchement de la Seconde guerre mondiale et le défi que celle-ci lançait à la liberté et à la justice, un engagement aussi limité n’était plus tolérable. Reconnaissant le rôle important que jouait la Saint-Siège dans toute l’Europe, le président Roosevelt nomma Myron Taylor son représentant personnel auprès du Pape Pie XI. Taylor allait se révéler un médiateur crucial entre le président et le Pape, lorsque les États-Unis tentèrent, sans succès, d’empêcher l’Italie d’entrer en guerre. Fidèle au visage humanitaire que Roosevelt avait donné à sa mission – mission que nous continuons à accomplir aujourd’hui – Taylor agit en étroite relation avec le Vatican pour nourrir les réfugiés qui arrivaient à travers les frontières de l’Europe, pour fournir une aide matérielle aux victimes de l’Europe de l’Est déchirée par la guerre et pour assister les prisonniers de guerre alliés.
Malgré l’effort du président Truman pour formaliser les relations en nommant un héros de la Seconde guerre mondiale, le général Mark Clark, comme ambassadeur des États-Unis, la tentative s’enlisa de nouveau au Congrès où la crainte de voir se perdre la séparation de l’Église et de l’État continuait à alimenter l’opposition à toute relation formelle. C’est ainsi qu’il y eut dans les années Soixante-dix et les premières années Quatre-vingt des représentants occasionnels, mais ce ne fut qu’en 1984, lorsque la voix de Jean Paul II s’éleva pour défendre la liberté et la justice que le président Reagan décida que les États-Unis ne pouvaient pas se permettre de rester plus longtemps sans un ambassadeur près le Saint-Siège. Reconnaissant dans le Pape polonais “globe-trotter” un ami et un allié dans la volonté de “détruire” le rideau de fer, le président Reagan réussit pour la première fois à obtenir l’accord nécessaire du Congrès des États-Unis et nomma le premier ambassadeur des États-Unis près le Saint-Siège. Cet ambassadeur s’appelait William Wilson. Lorsque Wilson présenta ses lettres de créance au Pape Jean Paul II, en avril 1984, le Pape lui dit que la collaboration renouvelée entre les États-Unis et le Saint-Siège devait signifier « faire des efforts communs pour défendre la dignité et les droits de la personne humaine ». Les paroles du Pape allaient tracer la voie pour l’avenir de cette relation, une relation vitale parmi les différentes voix du monde qui s’élèvent pour défendre la liberté, la justice et la dignité humaine.
Vingt ans après, je peux attester que ce partnership a donné la preuve de sa valeur aux États-Unis, au Saint-Siège et à la cause de la dignité humaine. C’est le travail que nous avons effectué en commun depuis vingt ans, ce sont nos étroites consultations sur les développements de la situation en Pologne, et, plus profondément, c’est ce que les conseillers du président Reagan appelaient «une unité d’intentions spirituelles et une unité de vues sur l’empire soviétique» – unité qui a finalement permis au droit de l’emporter – qui ont porté le premier des coups qui firent s’écrouler le communisme. De la même façon, les États-Unis et le Saint-Siège se sont opposés en Amérique centrale à l’instauration du communisme et ont rétabli la stabilité dans la région. Aux Philippines, les États-Unis et le Saint-Siège ont encore été ensemble du côté de la liberté et ont collaboré pour guider ce pays vers une transition démocratique pacifique. Nous continuons sur les places internationales à promouvoir activement les droits de l’homme, la liberté religieuse et la dignité de la vie humaine sur tous les continents.
La première édition de Le long chemin traite de cette relation depuis le début jusqu’à mon arrivée à Rome, arrivée qui a coïncidé avec les tragiques attaques du 11 septembre. Elle parle du soutien apporté par le Saint-Siège aux actions des États-Unis contre la menace de Al-Qaida – un soutien exprimé alors avec beaucoup de vigueur par le cardinal Tauran. La seconde édition de Le Long chemin mène l’histoire de nos relations formelles jusqu’à leur vingtième anniversaire. Le thème central de cette période récente a naturellement été la guerre en Irak – sujet qui, dans nos relations, a donné lieu à des équivoques évidentes. C’est pourquoi j’ai été heureux de l’occasion que m’a donnée 30Giorni de travailler à une seconde édition de Le Long chemin de manière à dissiper un peu tous ces malentendus.
Laissez-moi vous dire, avant tout, que la solidité d’une relation entre États-nations se mesure à la capacité de ceux-ci à dépasser les tensions et les désaccords. La guerre en Irak a été de ce point de vue un véritable test pour les États-Unis et le Saint-Siège, bien que le désaccord ait porté sur les moyens plus que sur les fins. Nous sommes sortis victorieux de l’épreuve pour la raison fondamentale que les États-Unis et le Saint-Siège n’ont jamais ni l’un ni l’autre perdu de vue le bien du peuple irakien et n’ont jamais cessé de réfléchir à la façon dont ils pouvaient travailler ensemble pour aider ce peuple qui souffre depuis longtemps à se construire un avenir prospère et démocratique. De fait, la Caritas, organisation de secours du Saint-Siège, a été active en Irak avant, durant et après la guerre et s’efforce aujourd’hui, en étroit contact avec les États-Unis, de reconstruire les infrastructures sanitaires.
De la même façon, l’Église chaldéenne, qui compte plus d’un demi-million de catholiques en Irak, a été la voix – qui était nécessaire – de la modération et de la tolérance religieuse. Le patriarche chaldéen reste en dialogue permanent avec l’administrateur américain, l’ambassadeur Bremer, au sujet des secours, de la reconstruction et de la liberté religieuse. Ma femme Suzanne et moi avons eu le privilège de rencontrer le patriarche à Rome, peu après son élection, et il m’a salué en disant: «Merci d’avoir libéré mon peuple!».
CONSTITUTION IRAKIENNE.
Le président du Conseil gouvernemental irakien, Mohammed Bahr al-Ulloum, signe la Constitution provisoire le 8 mars 2004

CONSTITUTION IRAKIENNE. Le président du Conseil gouvernemental irakien, Mohammed Bahr al-Ulloum, signe la Constitution provisoire le 8 mars 2004

Il ne fait pas de doute que la période précédant la guerre fut particulièrement intense dans notre dialogue bilatéral. Le Saint-Siège apparut comme le haut lieu de rencontre de l’activité diplomatique de pays qui, au sujet de l’Irak, se trouvaient sur des positions opposées. Reconnaissant l’importance de la voix du Saint-Siège, mon ambassade s’efforça de faire connaître aux fonctionnaires du Vatican les inquiétudes des États-Unis à propos de l’Irak; elle souligna les douze ans pendant lesquels le gouvernement de l’Irak avait défié les résolutions de l’ONU, son usage des armes de destruction massive contre son propre peuple, sa répression interne continuelle et les abus qu’il avait commis dans le domaine des droits de l’homme. Nous découvrîmes qu’au Vatican on partageait nos inquiétudes sur le régime de Saddam et notre désir de prévenir la diffusion des armes nucléaires, chimiques et bactériologiques. De hautes personnalités vaticanes essayèrent en effet de corriger l’impression qui s’était faussement répandue que le Saint-Siège avait des sympathies pour l’Irak.
Cela ne signifie pas que le Saint-Siège soutenait la guerre. Le Pape n’était pas favorable à la guerre. Il est contre toutes les guerres car c’est un homme de paix. Mais ce n’est pas un pacifiste! Il expliqua clairement ce que l’Église enseigne à propos de la guerre, à savoir qu’elle est parfois nécessaire comme ressource ultime et qu’il appartient aux chefs des pouvoirs civils de décider, après avoir bien pesé les choses, du moment où il faut entreprendre une action militaire pour protéger leurs concitoyens. Le Saint-Siège nous fournit le cadre moral et éthique dont nous nous servîmes pour évaluer la situation en Irak. Le cardinal Laghi, qui représentait le Pape, fit un bon travail en expliquant la position du Vatican. Le président l’écouta attentivement; j’étais présent. Puis il prit sa décision en se fondant sur les informations qu’il possédait au sujet de la menace irakienne et il assuma ses responsabilités à l’égard du peuple américain.
Le résultat est que les Irakiens ont aujourd’hui la possibilité de vivre librement et de considérer comme terminée l’époque des fosses communes, de la torture et de la répression. Ce résultat a son coût et la transition ne sera pas simple. Mais le monde sera meilleur avec un Irak pacifique, stable et démocratique. À la lumière de cette nouvelle situation, le secrétaire d’État du Vatican, Angelo Sodano, a dit en janvier au vice-président Cheney que le Saint-Siège déplorait les victimes américaines et originaires d’autres pays en Irak et qu’il considérait ces valeureux soldats comme des “opérateurs de paix”.
Nos efforts en faveur de la dignité et des droits de l’homme en Irak font partie d’une stratégie plus vaste. Les États-Unis entendent en effet s’élever contre les violations de la dignité humaine, dont les exigences ne sont pas négociables, et travailler activement en faveur de la liberté. Il est dit en effet explicitement dans la Stratégie de la sécurité nationale des États-Unis que le premier but de notre engagement international aujourd’hui est de «favoriser avec fermeté les revendications non négociables concernant la dignité humaine, l’état de droit, les limites au pouvoir absolu de l’État, la liberté de parole, la liberté de culte, une justice juste, le respect des femmes, la tolérance religieuse et ethnique et le respect de la propriété privée»1. Ce but est aussi au centre du fort engagement international du Saint-Siège.
Notre désir commun de défendre la dignité humaine donne naissance à un dialogue actif sur les droits de l’homme. L’année dernière, les États-Unis ont demandé au Saint-Siège de s’élever, en tant qu’autorité morale, contre les exécutions et les condamnations sommaires à Cuba. Le Saint-Siège s’est vraiment prononcé, avec nous et avec les nations qui défendent la liberté et les valeurs démocratiques, contre les actions arbitraires du gouvernement cubain. De la même façon, le Saint-Siège s’est empressé de faire part aux États-Unis de son trouble devant la menace qui pesait sur les droits de l’homme au Soudan, en Ouganda, au Zimbabwe et en Arabie Saoudite et de les exhorter à affronter ces problèmes.
Aujourd’hui, le crime de trafic d’êtres humains est l’une des offenses les plus graves faites à la dignité humaine, dignité que les États-Unis se trouvent, dans ce domaine aussi, les premiers à défendre. Le président Bush a surpris beaucoup de gens en septembre dernier, lorsqu’il a consacré presque un tiers de son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies à ce qu’il a appelé «une crise humanitaire qui, encore cachée au regard, se propage rapidement» et qui concerne presque un million d’êtres humains achetés, vendus ou conduits de force à passer les frontières du monde. Parmi ceux-ci, il y a des centaines de milliers de femmes et de jeunes filles qui sont victimes du commerce sexuel. Mon ambassade travaille activement en accord avec le Saint-Siège pour essayer de vaincre ce mal et met en particulier en œuvre des stratégies de prévention et de réhabilitation pour les victimes de ce trafic. En mai 2002, nous avons cherché à mieux faire connaître cette forme actuelle d’esclavage en organisant avec le Saint-Siège une conférence internationale à laquelle ont participé quatre cents personnes de trente-cinq pays différents. Nous avons été heureux de recevoir à cette conférence le cardinal Tauran qui représentait le Saint-Siège et qui a confirmé la participation du Pape à la lutte contre ce mal.
TRAFIC D’ÊTRES HUMAINS.
Le Secrétaire d’État Colin Powell durant la présentation du rapport annuel sur le trafic des êtres humains, Washington, juin 2003

TRAFIC D’ÊTRES HUMAINS. Le Secrétaire d’État Colin Powell durant la présentation du rapport annuel sur le trafic des êtres humains, Washington, juin 2003

L’attention prêtée à ce problème s’étant accrue, nous nous sommes consacrés aux moyens de le combattre activement en travaillant avec l’International Organization for Migration (Organisation internationale pour l’émigration). Nous avons récemment financé et développé un programme de formation spécifiquement destiné aux religieux dans le monde du travail pour leur fournir des méthodes et des moyens susceptibles de contrecarrer ce trafic. Ce cours renforce l’engagement et la compétence de personnes qui ont le désir et la capacité de combattre cette odieuse version de l’esclavage propre au XXIe siècle. Pour compléter cette initiative, j’ai rendu compte des résultats de la conférence et de la session de formation à tous les nonces vaticans du monde et je les ai encouragés – avec de bons résultats – à agir avec leurs conférences épiscopales respectives et leurs ambassades américaines locales pour lutter contre ce trafic.
La faim tue un enfant toutes les six secondes. Pour sauver dans l’avenir des millions de personnes de la faim, les États-Unis sont déterminés à aider les pays en difficulté à combattre la famine en les faisant profiter des techniques les plus modernes dans le domaine de la production agricole. Grâce aux nouvelles découvertes de la biotechnologie, beaucoup d’agriculteurs des pays techniquement avancés sont en mesure d’obtenir des produits résistants à la sécheresse, aux insectes nuisibles et aux maladies. Produits qui, de plus, s’adaptent au milieu dans lequel ils se trouvent et dont la rentabilité par are est supérieure à celle de l’agriculture traditionnelle. Nous travaillons, dans ce domaine aussi, en étroit contact avec le Saint-Siège, lequel a reconnu le devoir moral de nourrir les gens qui ont faim et qui a admis que la biotechnologie pouvait éventuellement être une solution pour limiter la faim et la malnutrition. Je crois qu’il s’agit là d’un problème sur lequel le Saint-Siège devrait engager plus vigoureusement encore son autorité morale. Il ne s’agit pas là, en effet, d’une question purement politique ou économique, mais d’une question de morale de vie – c’est une question concernant la vie – car un enfant qui meurt de faim, c’est comme un enfant qui meurt d’avortement. Nous voudrions que le Vatican œuvre avec nous en première ligne pour que ceux qui sont dans un grand besoin puissent avoir leur part de la nourriture biotechnologique.
Le sida tue huit mille personnes par jour. C’est un affront à la dignité humaine. Le président Bush a dit de cette maladie qu’elle était “un défi à notre conscience”. Le sida tue plus de trois millions de personnes par an. Nous devons agir avec décision pour affronter cette crise humanitaire. Sur ce plan aussi, les États-Unis vont se montrer capables d’une action globale sans précédent lorsqu’ils vont mettre à exécution le Plan d’urgence pour la lutte contre le sida voulu par le président, un plan de prévention à grande échelle du sida et de soins apportés à des millions de personnes qui ont déjà contracté la maladie. Pour respecter leur engagement de lutte contre le sida dans le monde, les États-Unis ont déjà prévu d’attribuer à cette cause quinze milliards de dollars pour les cinq années à venir. Notre ambassade contribue aussi à cette initiative en aidant la Communauté de Sant’Egidio à obtenir le soutien financier du Fonds présidentiel pour son programme de traitement anti-rétroviral au Mozambique et dans les autres principaux pays d’Afrique. Un traitement qui s’est révélé efficace. Les Américains soutiennent aussi à travers les agences de Catholic Relief les soins et l’assistance assurés par des œuvres catholiques particulières à vingt-cinq pour cent des victimes de cette terrible catastrophe sanitaire.
L’action que nous menons ensemble pour progresser dans ce domaine et dans d’autres, fera, selon moi, que cette relation diplomatique entre les États-Unis et le Saint-Siège, qui est encore jeune mais qui est en train de mûrir – et qui se fonde sur la primauté accordée à la personne humaine et à sa liberté – deviendra toujours plus déterminante pour affronter les défis de notre temps.
Les défis d’aujourd’hui sont des défis moraux. Ils doivent être affrontés avec une grande clarté morale et la capacité de traduire cette clarté en action. Par leur travail commun, les États-Unis et le Saint-Siège peuvent aider à construire un monde de liberté, d’espérance et de paix. Nous avons déjà fait beaucoup pour améliorer les conditions de vie de l’homme, mais il reste beaucoup à faire. Nous continuerons avec foi et détermination à promouvoir la cause de la dignité humaine. Cette seconde édition de Le long chemin célèbre nos succès passés et regarde vers un avenir plus lumineux. Je remercie une fois encore le sénateur Giulio Andreotti et 30Giorni de leur initiative, de leur intérêt et de l’aide qu’ils nous ont apportée pour faire connaître l’histoire de notre importante participation aux actions de défense de la dignité humaine.
Merci d’être venus.

Note
1 Stratégie de sécurité nationale des États-Unis d’Amérique, septembre 2002


Le cardinal Jean-Louis Tauran

Le cardinal Jean-Louis Tauran

JEAN-LOUIS TAURAN:
Vous me pardonnerez si je commence en citant l’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger. Dans les deux dernières phrases de son livre Diplomacy, il écrit: «The Wilsonian goals of America’s past – peace, stability, progress, and freedom for mankind – will have to be sought in a journey that has no end. Traveller, says a Spanish proverb, there are no roads. Roads are made by walking» («Les buts wilsoniens de l’Amérique du passé – paix, stabilité, progrès et liberté pour l’humanité – devront être recherchés dans un voyage qui n’a pas de fin. Oh! voyageur, dit un proverbe espagnol, il n’y a pas de chemins. Les chemins se font en marchant»).
C’est précisément ce que démontre très éloquemment, le livre que nous avons entre les mains: USA et Saint-Siège. Le long chemin. Dans la première partie de son œuvre, l’ambassadeur Jim Nicholson nous fait découvrir – et je dis “découvrir” parce que les faits rapportés n’étaient connus jusqu’à présent que des spécialistes – que les développements historiques et les initiatives qui font époque ne sont pas dus seulement aux circonstances historiques mais aussi à des personnalités de premier rang. Celles-ci, avec leurs intuitions, leur sens du devoir, leur capacité à saisir les signes du temps, ouvrent, justement, de nouveaux chemins et permettent aux hommes de construire, main dans la main, les chemins de l’histoire.
De Giovanni Sartori qui fut, en 1797, le premier consul américain dans l’État pontifical, à l’ambassadeur Jim Nicholson d’aujourd’hui, se sont succédé des représentants américains accrédités près le Saint-Siège. Ils ont su – souvent dans des conditions qui n’étaient pas faciles – conserver et alimenter une relation faite de loyauté et de respect. Chacun de ces représentants avec son histoire personnelle – humaine et politique – a permis que soient renouées des relations diplomatiques en 1984 et, le mois d’avril prochain, nous célébrerons le XXe anniversaire de la présentation par l’ambassadeur William Wilson de ses lettres de créance au Pape Jean Paul II.
Permettez-moi d’ajouter, à titre personnel, une situation qui n’a pas été mentionnée et qui a fait l’objet de consultations constantes entre Washington et la Cité du Vatican: je veux parler de la Terre Sainte […] Le Saint-Siège est en effet convaincu que la crise israélo-palestinienne non résolue est la “mère” de toutes les crises au
On comprend en lisant cette histoire ce que suppose l’art de la diplomatie: ouverture aux problèmes d’autrui; prise en considération de ce qui fait la différence et la spécificité de l’autre; acceptation du fait que chacun est un partenaire responsable; recherche et poursuite des moyens exclusivement pacifiques pour résoudre les difficultés; recherche de ce qui est commun aux deux parties.
Et tout cela sous le signe de la courtoisie, de la discrétion et de la sincérité.
Dans le cas des États-Unis, cet exercice a été facilité parce que, comme le souligne bien l’auteur, «si les États-Unis et le Saint-Siège peuvent parfois ne pas être d’accord sur les moyens, ils sont totalement d’accord sur les objectifs finaux: liberté, paix et création d’occasions» (p. 14 du livre en italien, p. 28 du n. 10 - 2002 de 30Jours).
Jim Nicholson souligne très justement la contribution irremplaçable de l’Église catholique d’Amérique à l’établissement du climat qui a permis d’atteindre le but de 1984. Les catholiques américains ont su montrer que leur fidélité au Pape ne les rendait pas moins dévoués à leur patrie. La contribution du cardinal Spellman, archevêque de New York, a été elle aussi déterminante.
Dans la seconde partie du livre, l’ambassadeur Nicholson donne quelques indications sur la manière dont il a informé les autorités de son pays sur les réactions du Saint-Siège à l’effroyable attentat du 11 septembre 2001 et sur l’opération militaire en Irak, l’année dernière.
Il déclare de façon opportune que, si les positions n’ont pas toujours concordé, cela a été dû «plus au désaccord sur les moyens que sur les fins», grâce aux valeurs qui sont communes aux deux parties: la protection de la dignité humaine qui n’est pas négociable; la défense du droit, qui pose des limites au pouvoir absolu de l’État; la promotion des libertés fondamentales; le désir de la justice et de la paix. À propos de la question des aliments biotechnologiques, il propose un original domaine de collaboration bilatérale dans le but de favoriser non seulement la survie des gens pauvres mais plus encore leur dignité.
Permettez-moi d’ajouter, à titre personnel, une situation qui n’a pas été mentionnée et qui a fait l’objet de consultations constantes entre Washington et la Cité du Vatican: je veux parler de la Terre Sainte. Je peux témoigner que ce sujet a été au centre de toutes les conversations que le pape Jean Paul II, ses secrétaires d’État et leurs collaborateurs ont eues avec les autorités des États-Unis ces dernières années et qu’il a été spécialement question du problème connu des Lieux saints des trois religions. Le Saint-Siège est en effet convaincu que la crise israélo-palestinienne, non résolue est la “mère” de toutes les crises au Moyen-Orient et qu’il faut que les deux parties reprennent, sans attendre, avec l’aide de la communauté internationale, le dialogue et la négociation.
Je voudrais encore, à titre personnel, laisser voir combien la paix en Terre Sainte pourrait transformer la région tout entière: elle libérerait des énergies et des ressources pour le développement économique; elle renforcerait la société civile et la démocratisation de cette société; elle éliminerait tout motif d’action violente pour les extrémistes qui se nourrissent du désespoir des déshérités; elle favoriserait un dialogue pacifique entre les religions et éviterait ainsi l’émigration des chrétiens.
Je ne peux que remercier l’ambassadeur Nicholson qui, dans ces pages, nous fait découvrir à travers la vie d’un diplomate et l’action d’un gouvernement le type de contribution que le Saint-Siège, pouvoir moral sans arme, peut jouer dans la communauté des nations: faire régner la confiance; rappeler l’urgente nécessité du dialogue; respecter le droit, négocier des solutions équitables; dépasser les passions et les préjugés; encourager l’adoption de mesures ponctuelles qui préparent la voie à la solution des problèmes plus difficiles; exploiter le potentiel de paix des religions.
Ce sont là quelques-uns des objectifs que le Saint-Siège considère de son devoir d’atteindre. Le livre que nous présentons ce soir me semble montrer le résultat de la stratégie dont je viens de parler.
Dans la précarité du monde moderne, il est plus nécessaire que jamais d’unir nos forces pour rechercher les conditions d’un monde plus humain. La foi offre sans aucun doute une nouvelle vision de l’homme et de la société avec ses motivations particulières qui peuvent renforcer la coexistence entre les peuples.
Je ne peux ce soir, pour terminer, que me faire l’écho de ces paroles prononcées par le pape Jean Paul II à Assise, en janvier 2002: «Jamais plus de violence! Jamais plus de guerre! Jamais plus de terrorisme! Au nom de Dieu, que chaque religion apporte sur la terre justice et paix, pardon et vie, amour!».

Nous souffrons, comme c’est le cas dans la situation actuelle, parce que nous sommes tous obligés d’assister avec angoisse à une série de morts distillées de telle sorte que la mort devient une fatalité, une routine. Nous sentons alors qu’il doit exister la possibilité de construire un rapport humain différent. Et cette construction est celle que l’on peut qualifier – étant donné que l’ambassadeur Nicholson l’a cité, je voudrais moi aussi conclure avec saint Augustin – de conception naturaliter christiana
GIULIO ANDREOTTI
Il est d’abord, je crois, appréciable que dans une période où le monde est si agité, si plein de problèmes, nous ayons pu consacrer une heure et demie à rappeler un fait positif, celui des pleines relations diplomatiques entre les États-Unis et le Saint-Siège. Une relation qu’il a été si difficile d’établir que, comme nous l’avons vu, il a fallu pour y arriver beaucoup de temps et une longue suite d’événements. Je ne dois pas tirer de conclusions mais je crois important de revenir sur deux points qui ont été abordés par l’ambassadeur Nicholson et par le cardinal Tauran.
Rome est une ville particulièrement privilégiée parce qu’elle possède un double et même un triple corps diplomatique. Les États sont en effet représentés non seulement auprès de l’État italien et du Saint-Siège, mais encore auprès de la FAO. La présence de toutes ces nationalités diverses nous permet de mieux comprendre les problèmes mais permet aussi aux représentants diplomates étrangers, y compris à ceux qui n’ont pas de contact fréquent avec le sommet du pouvoir, de comprendre ce qui se passe – ce qui n’est pas toujours aisé – dans notre pays.
Je voudrais reprendre la dernière question mentionnée par le cardinal Tauran, celle de la Terre Sainte: c’est le point aujourd’hui le plus névralgique de la situation internationale. Un problème très difficile. L’Écriture nous dit que Jésus a pleuré sur sa ville et il continue à pleurer.
L’effort politique – qu’il soit collectif, bilatéral ou multilatéral – qu’il faut accomplir est de chercher à créer les conditions pour que les deux populations puissent passer de la coexistence à la vie commune. Les historiens de la politique internationale peuvent probablement critiquer aujourd’hui les décisions prises en 1948. En ce sens que, probablement, c’est en raison de l’urgence qu’il y avait à soulager l’Angleterre de sa présence là-bas qu’ont été créés l’État d’Israël et l’État arabe. Si l’on regarde les travaux préparatoires, on remarque qu’ils ont été menés de façon très superficielle. Si l’on avait cherché à mieux comprendre ce qu’était l’État arabe et comment on pouvait faire naître en même temps ces deux entités, on aurait probablement pu éviter beaucoup des difficultés qui se sont présentées par la suite. Mais il ne sert à rien de dire cela aujourd’hui.
Il me paraît important, et ce sera là ma conclusion, de s’arrêter sur une donnée éloquente: le nombre des représentants du Pape qui sont dans le monde et donc des représentants près le Saint-Siège qui sont ici, venus du monde entier. Les rapports diplomatiques ont connu un grand développement et des moments significatifs. Moments importants sur lesquels tout le monde n’a pas toujours été d’accord parce que, dans les choses humaines, il y a toujours la possibilité d’être d’accord ou de ne pas l’être. Et sans retirer aucun mérite à personne, il faut reconnaître au cardinal Tauran d’avoir été très attentif à certains points sensibles de la situation internationale.
Voyons, par exemple, deux moments. Le premier, qui a suscité quelques critiques, est celui où ont été nouées les relations diplomatiques avec l’Autorité palestinienne en attente de la naissance de l’État palestinien. Ce n’était pas du tout une attitude d’opposition, mais une attitude qui avait pour but de faciliter ce qui est le développement fatal et auquel il faudra certainement arriver. Mais tout le monde ne l’a pas compris. Le second: c’est le moment où le Saint-Siège a établi des relations diplomatiques avec la Libye. Pendant longtemps non seulement parler de relations avec la Libye a été considéré comme quelque chose de polémique mais il était même impossible de le faire. Eh bien nous voyons aujourd’hui que les choses sont en train de changer et que nous sommes à la veille, ce n’est pas un secret d’État, de la reprise des relations diplomatiques entre les États-Unis et Tripoli.
Alors quelle est la conclusion? La conclusion me semble la suivante: si nous observons le développement de la diplomatie pontificale, nous constatons qu’elle est toujours au service de la recherche de solutions positives qui visent plus loin que le moment historique et politique présent. Les moments politiques peuvent changer dans les différents pays. La vie de l’Église a, peut-être, l’avantage de ne pas être liée aux élections, de ne pas avoir de législatures qui changent, de ne pas avoir les préoccupations qui sont celles du monde civil et qui déterminent parfois certains choix.
Mais ce qui est important et qui ressort de ce qu’ont dit l’ambassadeur Nicholson et le cardinal Tauran, c’est que nous devons être au service de l’homme, de l’homme malade, de l’homme qui a faim, de l’homme qui n’a pas de territoire suffisant, de l’homme qui se sent opprimé par ce qu’il n’existe pas dans son pays une idée même minimale, même adaptée aux circonstances locales, de liberté. Je crois qu’il y a un travail commun à accomplir dans cette direction. Et les différentes ambassades de Rome n’ont pas sur ce point des rôles différents à jouer. Nous sommes, je crois, tous au service de l’humanité et, lors d’une crise, nous souffrons tous, que ce soit un homme ou son ennemi qui meure. Nous souffrons, comme c’est le cas dans la situation actuelle, parce que nous sommes tous obligés d’assister avec angoisse à une série de morts distillées de telle sorte que la mort devient une fatalité, une routine. Nous sentons alors qu’il doit exister la possibilité de construire un rapport humain différent. Et cette construction est celle que l’on peut qualifier – étant donné que l’ambassadeur Nicholson l’a cité, je voudrais moi aussi conclure avec saint Augustin – de conception naturaliter christiana.
* Le texte du livre a été publié, comme supplément, en deux parties, dans l’édition française de 30Jours. La première partie en octobr­e 2002, la seconde en février 2004.


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