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NOVA ET VETERA
Tiré du n° 06 - 2011

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Lebreton, théologien croyant


Français, jésuite, il a publié des ouvrages fondamentaux sur les premiers siècles de l’Église. Beaucoup de grands auteurs ont une dette à son égard. Et pourtant, on ne trouve pas trace de son nom dans les plus récents dictionnaires de théologie. C’est qu’il aimait la foi de la tradition avant tout et plus que les débats savants.

Esquisse d’un portrait


par Lorenzo Cappelletti


Le père Jules Lebreton. Il est né à Tours en 1873 et mort à Paris en 1956 [© Romano Siciliani]

Le père Jules Lebreton. Il est né à Tours en 1873 et mort à Paris en 1956 [© Romano Siciliani]

 

Le très récent Dizionario dei teologi ne le mentionne pas. Son portrait ne figure pas non plus parmi ceux des cent dix théologiens que propose le dernier volume de la très célèbre œuvre dogmatique (à laquelle ont collaboré des théologiens aussi éminents que von Balthasar et Rahner) Mysterium salutis. Et pourtant, presque tous ceux que l’on appelle les grands théologiens, de Chenu à Daniélou, de Leclercq à Lyonnet, de Bouyer à Marrou ont reconnu la dette qu’ils avaient à son égard. Émile Blanchet, recteur de l’Institut catholique de Paris écrivait ainsi, en annonçant sa mort, qui eut lieu en juillet 1956: en réalité, «on ne saura jamais quelle a été la profondeur et l’extension de l’influence du père Lebreton».

Né à Tours en 1873, Jules Lebreton entra à dix-sept ans dans la Compagnie de Jésus. Lorsqu’il eut brillamment terminé des études universitaires, il ne put se soustraire aux charges d’enseignement. En 1907, en pleine crise moderniste, c’est à lui que fut confiée la responsabilité de la chaire d’Histoire des origines du christianisme, qui avait été créée à l’Institut catholique de Paris pour couvrir le très délicat secteur historique-théologique des études sur l’Église primitive. Le père de La Potterie racontait que, le rencontrant à Paris bien des années plus tard, Lebreton lui avait confié que lorsqu’il était arrivé dans la capitale, dans les premières années du XXème siècle, «un vent glacé soufflait sur Paris».

Le jeune professeur allait-il pouvoir résister au vent glacé du modernisme? Certains collègues, qui n’étaient pas toujours bien intentionnés, s’indignaient: «Il faut que vos supérieurs soient fous pour vous permettre d’accepter ce poste», disaient-ils. «Je n’ai pas de moi-même brigué ce poste», répondait Lebreton. «On m’y appelle. Je m’y rends».

 

En toute humilité

Cette attitude d’humble et souveraine indifférence l’accompagnera toute sa vie. «Sa spiritualité austère était, l’on s’en doute, extrêmement opposée à toute recherche d’aventure et d’évasion. Le père n’exprimait pas de désirs», écrit René d’Ouince dans l’article qu’il lui consacra dans Études de 1956. En effet, du point de vue scientifique aussi, le père Lebreton dédia la majeure partie de sa vie à des œuvres qui exigent beaucoup de travail mais ne procurent pas la gloire, du moins celle que l’on obtient parmi les hommes en marquant sa prétendue originalité. Dieu sait ce qu’il en coûte d’être un professeur toujours disponible pendant presque quarante ans, de résumer correctement en deux volumes l’histoire de l’Église jusqu’à Constantin pour la grande œuvre dirigée par Fliche et Martin, et d’écrire en même temps, en permanence, des articles pour des revues comme Études et Recherches de science religieuse (revue qu’il avait fondée en 1910 avec le père de Grandmaison et dont il devint directeur après la mort de ce dernier), mais surtout de faire, jusqu’à la fin des années Quarante, le compte-rendu, pour le Bulletin d’histoire de cette dernière revue, d’innombrables travaux d’autres auteurs. Pendant un demi-siècle, les œuvres d’une certaine importance de tous les exégètes néotestamentaires, des patrologues et des historiens du dogme ont été passées au crible de ses analyses attentives. Analyses si mesurées que pour trouver une critique, il faut lire entre les lignes. Année XXXIV de Recherches de science religieuse, présentation de Surnaturel du père de Lubac: «Tout chrétien sait que Dieu propose pour fin dernière à sa vie la vision béatifique, par laquelle éternellement il s’unira à son Créateur et Sauveur; il sait que cette vision lui est promise et lui sera accordée par une pure libéralité de Dieu; mais il peut se demander si cette fin a été proposée à l’humanité dès la création du premier homme, ou seulement après la chute, en prévision des mérites du Rédempteur; dans cette seconde hypothèse doit-on se représenter Adam, avant son péché, comme orienté par Dieu à une béatitude naturelle, méritée par une vie pieuse et juste, telle que les forces de la nature la pouvaient assurer? Si cette hypothèse d’une nature pure orientée vers une fin naturelle doit être écartée…». Cela revient à dire: ce que les chrétiens doivent croire, ils le savent, les hypothèses sont des hypothèses et il n’est pas dit que celle de nature pure doive être écartée.

Le père Lebreton laissa inachevée la seule œuvre qui aurait pu lui procurer la gloire: L’Histoire du dogme de la Trinité des origines au Concile de Nicée, n’arriva pas jusqu’à Nicée; elle s’arrêta à saint Irénée. Mais ce ne fut peut-être pas un hasard. La foi de Lebreton était un peu celle d’Irénée. Comme Irénée, écrit encore René d’Ouince, le père Lebreton «se contentait d’ordinaire d’exposer fermement la doctrine traditionnelle de l’Église». Selon cette même regula fidei qui était celle d’Irénée et qu’il adopte dans la préface de l’Histoire du dogme: «La chaîne vive de notre tradition nous reliait plus étroitement encore et plus sûrement au passé que les commentaires des exégètes et les dissertations des historiens».

 

Le vieux serviteur

Sa méfiance à l’égard des spéculations de la gnose chrétienne de Clément d’Alexandrie et d’Origène réapparaît dans certains de ses articles des années Vingt. Selon Origène, les simples croyants sont comme des nourrissons, liés à des connaissances élémentaires: «Ils ne savent rien que Jésus-Christ», écrit-il, «et Jésus-Christ crucifié, estimant que le Logosfait chair est le tout du Logos; ils connaissent seulement le Christ selon la chair: telle est la foule de ceux qu’on regarde comme croyants».

Eh bien, le père Lebreton a voulu vivre et mourir comme eux. Redevenu comme un enfant dans les dernières années de sa vie sous l’effet d’une grave maladie, il avait confié à une sœur âgée et malade comme lui: «Vous le comprenez comme moi, ma Mère, ce que le Seigneur veut trouver dans ses vieux serviteurs, c’est la confiance en lui. Un enfant n’a pas peur de rentrer dans la maison paternelle. De mois en mois mes forces diminuent. Cet après-midi, je me rendrai chez le médecin pour des piqûres mensuelles qui m’aident à vivre, à penser, à me souvenir. Quand elles ne me feront plus d’effet, je laisserai tomber tout cela et je vivrai dans la maison paternelle comme un enfant docile et confiant, répétant la parole: “Scio cui credidi. Je sais en qui j’ai mis ma confiance”. Il ne se dérobera pas».



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