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AFFAIRES
Tiré du n° 07/08 - 2005

POLOGNE. Les ecclésiastiques enrôlés par les services secrets de l’Est

Venus d’un pays lointain pour espionner de près


L’ Institut polonais de la mémoire nationale, qui est en train d’examiner les archives de la police secrète de l’ancien régime communiste, affirme que pour contrôler l’Église en Pologne et dans d’autres pays, des milliers de religieux et de prêtres avaient été enrôlés comme informateurs. Interview de Jan Zaryn, historien


par Giovanni Cubeddu


À la fin du mois d’avril, une nouvelle venue de la Pologne a fait sensation: l’un des hommes les plus proches du Pape polonais – le père dominicain Konrad Stanislaw Hejmo, responsable des pèlerinages des Polonais à Rome – aurait été un informateur des services secrets de Varsovie depuis l’époque du régime communiste en Pologne, et il n’aurait malheureusement pas été le seul dans le clergé de l’époque. Cette révélation venait de Leon Kieres, président de l’Institut polonais de la mémoire nationale (IPN), un institut public indépendant dont le statut a été approuvé en décembre 1998 par le Parlement démocratique de Varsovie et qui a pour but de rétablir la vérité historique sur l’oppression nazie et communiste de la Pologne de 1939 à 1989, en examinant, entre autres, les archives secrètes de la police secrète polonaise. Certaines enquêtes de l’IPN peuvent déboucher sur des procédures judiciaires.
Le religieux polonais Konrad Stanislaw Hejmo regarde les titres des journaux sur l’état de santé du pape Jean Paul II, devant le kiosque qui jouxte la colonnade de la place Saint-Pierre

Le religieux polonais Konrad Stanislaw Hejmo regarde les titres des journaux sur l’état de santé du pape Jean Paul II, devant le kiosque qui jouxte la colonnade de la place Saint-Pierre

C’est pour cette raison que nous avons demandé à l’IPN de nous mettre au courant des recherches en cours et de nous expliquer le scandale qu’elles ont provoqué. C’est Jan Zaryn, professeur d’université, auteur de treize livres et de plus de cent articles scientifiques, presque tous consacrés à l’histoire de l’Église en Pologne, qui nous a répondu au nom de l’Institut.

Sur quels documents se fonde le travail de votre Institut à propos de l’activité des services secrets de l’Est contre l’Église catholique et le Vatican?
JAN ZARYN: Les documents concernant «l’activité de la police secrète» conservés en Pologne mesurent, si on les aligne, 90 kilomètres environ. Ceux-ci ont été rédigés de 1944 à 1990 par les fonctionnaires de la police secrètes polonaise, appelée “SB” à partir de 1956 (elle s’appelait “UB” de 1944 à 1956). Comme on le sait, entre 1944 et 1989, plus de quatre-vingt-dix pour cent de la population était catholique, et entre 1947 et 1990, la police secrète a cherché des renseignements sur l’Église catholique et sur les évêques polonais. C’est la raison pour laquelle la documentation dont dispose l’IPN à propos de la politique du régime communiste polonais contre l’Église catholique est très vaste, véritablement énorme.
De quels documents s’agit-il?
ZARYN: Il s’agit d’actes administratifs, d’instructions, d’ordres des dirigeants du ministère, de documents de fonctionnaires de la police secrète qui étaient en contact avec les informateurs et de ceux qui étaient préparés par les informateurs eux-mêmes. Mais il y a aussi les documents personnels rédigés par le bureau de passeports et d’autres encore qui proviennent des organismes, eux-mêmes surveillés, etc.
Par exemple, l’informateur qui a pour pseudonyme Zigmunt (c’est-à-dire Sigismond) était un prêtre de l’Église catholique qui a mené son activité d’informateur de 1949 jusqu’au milieu des années Soixante. Zigmunt a été membre de commissions épiscopales polonaises très importantes et il a fait le compte-rendu de ces réunions pour les services secrets. Nous avons aussi des dossiers sur les diocèses et sur les paroisses, sur tous les monastères masculins et féminins, sur les séminaires, sur la Kul, l’Université catholique de Lublin (dont on disait en Pologne qu’elle était “l’unique université catholique entre Berlin et Vladivostock”...). La police secrète a enquêté sur tous les monastères polonais, dominicains, jésuites, franciscains, mais surtout sur les dominicains et les jésuites, parce qu’ils étaient les plus actifs auprès des jeunes.
À partir de 1962, les fonctionnaires de la police secrète appartenant au VIe département du ministère de l’Intérieur ont “personnalisé” leurs informations. Jusqu’en 1990, chaque prêtre – mais aussi chaque élève du séminaire – a été l’objet d’un fascicule de renseignements détaillés (ce dernier était appelé Teok; pour les évêques le code était Teob, pour les paroisses Teop). On trouve aussi dans cette documentation, provenant d’autres départements, comme le IIIe, qui s’occupait des dissidents politiques, un grand nombre d’informations sur les prêtres.
Quels ont été les moyens les plus utilisés par les services secrets de l’Est pour avoir en Pologne des informations sur l’Église catholique ou sur Solidarnosc?
ZARYN: Le premier instrument, c’étaient les informateurs. Du 13 juillet 1949 aux années Soixante-dix, par exemple, le ministère de l’Intérieur a rédigé beaucoup d’“instructions” pour former les fonctionnaires en leur apprenant à travailler avec les informateurs. De 1962 à 1990, la formation des futurs informateurs a été le premier objectif du IVe département. Son second objectif était d’avoir le plus grand nombre possible d’informateurs dans les hautes institutions de l’Église, par exemple dans la Curie épiscopale. Il était souhaitable qu’un fonctionnaire soit en contact avec un jeune prêtre, parce que celui-ci était destiné à devenir évêque dans les cinq ou dix années à venir, et donc un informateur de premier ordre.
La deuxième manière d’obtenir des renseignements?
ZARYN: S’infiltrer par des écoutes téléphoniques et grâce à des photographies prises secrètement, ou bien surveiller la correspondance. La correspondance qui était expédiée par le Secrétariat épiscopal polonais au Vatican était elle-même lue par les services secrets de la section “W”, tandis que la section “T” s’occupait des écoutes téléphoniques. La section “W” lisait les lettres, les photocopiait ou les sténographiait, et les remettait soigneusement dans leurs enveloppes pour les expédier à leur destinataire.
D’après la presse internationale, l’IPN possède des centaines de pages de rapports sur le père Hejmo.
ZARYN: La documentation trouvée et présente à l’Institut sur le père Konrad Hejmo se compose d’environ sept cents pages. Notre rapport, rédigé par trois historiens (Andrzej Grajewski, Pawel Machcewicz et moi-même) est d’environ soixante-dix pages. Le dossier présente trois parties. La première concerne essentiellement les entretiens entre le fonctionnaire de la police secrète Waclaw Glowacki et le père Hejmo qui s’occupait à l’époque, (à partir de 1975) du mensuel dominicain W drodze, “En marche”. Et puis à Rome, le père Hejmo rencontrait de temps en temps un fonctionnaire (le secrétaire, “Pietro”) de l’ambassade de la Pologne communiste qui était aussi fonctionnaire du premier département du SB, et “Lacar”, agent du SB mais aussi de la BND, les services secrets fédéraux allemands (et l’on ne peut connaître son véritable rôle si l’on ne connaît pas les documents allemands). La lecture de ces documents est extrêmement intéressante. Hejmo a beaucoup parlé, il a même trop parlé.
La nouvelle, diffusée elle aussi par votre Institut, selon laquelle la “collaboration” avec les services secrets aurait concerné à un certain moment 2600 prêtres, à savoir 15% du clergé polonais, a été accueillie avec incrédulité. Comment cela a-t-il été possible?
ZARYN: Il faut préciser que le chiffre de 2600 prêtres, soit environ 15% du clergé polonais, vient d’une statistique basée sur des données de 1977. Dans un de mes livres sur la question, j’ai essayé de compter combien de prêtres ont collaboré avec le SB, et j’ai pris 1977 comme exemple, parce que j’avais d’excellentes possibilités de comparer les chiffres du bureau des statistiques de la police secrète (bureau “C”) avec les chiffres de l’Église polonaise. Il est d’ailleurs important, selon moi, de rappeler que l’année 1977 a aussi marqué le début de la grande opposition démocratique.
Qu’est-ce que cela signifie?
ZARYN: Les groupes d’opposition se sont développés à partir de 1977. En 1980 et en 1981, quand Solidarnosc est devenu légal, dix millions de personnes environ se sont mobilisées. La police secrète a donc eu besoin de beaucoup plus d’informateurs, et l’état de guerre déclaré dans le pays à partir du 13 décembre 1981 lui a donné la possibilité d’en recruter de nouveaux: en 1984, il y en avait plus de 84 000. À partir de cette date, le nombre des prêtres a augmenté et le SB a donc eu plus de possibilités d’obtenir des informations, y compris parmi les catholiques. Si bien que le SB a qualifié d’“informateur” 15% du clergé, même dans les années Quatre-vingt. C’est un chiffre important mais il faudrait vérifier l’identité et l’efficacité de chaque informateur.
Jusqu’à quel point les services secrets sont-ils arrivés à pénétrer dans la hiérarchie catholique? Et l’Église catholique ne soupçonnait-elle pas l’existence de prêtres collaborateurs?
ZARYN: C’est un problème très sérieux. Je peux dire que je ne connais aucun évêque ou aucun membre de l’épiscopat polonais qui ait été un informateur. Jusqu’ici, je n’ai jamais trouvé d’évêques polonais qui aient collaboré avec les communistes. Jusqu’ici. Mais vous savez, il y a plus de 90 kilomètres d’actes...
J’ai lu beaucoup de documents concernant le primat polonais Stefan Wyszynski, ainsi qu’un document de 1970 qui a été préparé par les fonctionnaires du IVe département grâce à des informateurs très proches du primat dont certains travaillaient dans son secrétariat. Mais il est difficile de donner une réponse précise: ce pouvait être le secrétaire personnel du primat, quelqu’un qui était très proche de lui, ou bien un ouvrier ou un ingénieur qui aurait eu de nombreux contacts avec le secrétariat, vu que l’édifice avait été restauré... Dans tous les cas, ce sont des situations vraiment délicates. Or je ne connais que le nom de “service” de ces informateurs, pas leur vrai nom. Je sais que le pseudonyme Sibismunt désignait le responsable des éditions de l’épiscopat polonais, et qu’un prêtre du clergé régulier a fourni le résumé des rencontres de cette commission. Je crois qu’il y en avait d’autres. Par exemple, un historien polonais de Rzeszow, dans le sud de la Pologne, a reçu des documents concernant la Curie du diocèse de Przemysl, justement là où travaillait l’évêque Tokarczuk, un héros polonais, un ennemi du communisme. Cet historien a vérifié que, dans les années Soixante-dix, il y avait huit informateurs dans sa Curie. De même, un historien de Cracovie a trouvé des documents à propos d’informateurs très proches de la Curie de Cracovie. Par exemple Tadeusz Novak, qui a travaillé à Cracovie dans la rédaction de Tygodnik Powszechny et aussi comme économe dans la Curie métropolitaine de Cracovie. Mais je crois qu’il y a eu d’autres informateurs bien placés dans les hautes sphères cléricales polonaises.
; à gauche, les cardinaux polonais Stefan Wyszynski et Karol Wojtyla à leur arrivée à Rome, à l’occasion des funérailles du pape Paul VI, août 1978

; à gauche, les cardinaux polonais Stefan Wyszynski et Karol Wojtyla à leur arrivée à Rome, à l’occasion des funérailles du pape Paul VI, août 1978

L’Église catholique se doutait de l’existence de collaborateurs.
ZARYN: Oui, le primat Wyszynski et les autres évêques savaient que les fonctionnaires du SB les espionnaient, qu’ils lisaient leurs lettres, etc. Même quand le primat était prisonnier, les deux personnes qui étaient les plus proches de lui ont donné des informations au XIe département. Mais le primat n’avait rien à cacher. Il a dit les mêmes choses sur le pouvoir dans les occasions officielles et en privé.
Et le gouvernement savait aussi que certains prêtres informateurs étaient démasqués dans l’Église...
ZARYN: Les évêques avaient l’expérience des contacts avec la police secrète, qu’il s’agisse de l’UB ou du SB. Il existait des instructions précises de l’épiscopat polonais, dans lesquelles les évêques interdisaient aux prêtres de rencontrer des fonctionnaires du SB. On peut toutefois avancer l’hypothèse que certains prêtres, complices de fonctionnaires du SB, faisaient des rapports à leurs évêques, c’est-à-dire que c’étaient des agents doubles. J’en connais quelques exemples, mais uniquement pour les années Quarante et Cinquante. Un prêtre, qui s’appelait Emmanuel Grim, de la paroisse d’Izdebna dans le sud de la Pologne, était un informateur de l’UB (appelé ensuite SB), mais c’était pour lui un tourment. Il a informé son évêque, Stanislaw Adamski, qu’il avait été obligé de fournir des informations contre l’Église. Il est mort quelques mois après. Peut-être sa mort est-elle due à la situation critique dans laquelle il se trouvait...
Une autre histoire?
ZARYN: Elle remonte aux années Cinquante: c’est celle du prêtre Joseph Bak, un informateur dont le pseudonyme était Prosty, c’est-à-dire le “Simple”. Il faisait partie du grand organisme catholique de la Caritas, et le 23 janvier 1950, il a aidé le pouvoir communiste à s’infiltrer dans les institutions catholiques. Ensuite, Mgr Adamski a eu avec lui une explication franche. Prosty lui a alors dit: «Le pouvoir communiste m’a demandé de faire cela pour eux, et j’ai pensé que c’était un bien pour l’Église...». L’évêque lui a donné l’absolution.
Et qu’en avez-vous déduit?
ZARYN: Ce sont des exemples. De nombreux prêtres pensaient peut-être que leurs contacts avec le SB n’étaient pas secrets et qu’ils ne nuisaient pas à l’Église; et les fonctionnaires du SB ne savaient pas si les prêtres informateurs, après leurs rencontres, parlaient ou non avec leurs évêques. L’Église se posait souvent à l’époque la question de savoir si tel ou tel prêtre était vraiment un informateur du SB polonais. C’était une question à laquelle il était très difficile de répondre. C’est la raison pour laquelle j’ai tenu à préciser que le chiffre de 15% d’informateurs en 1977 est une estimation du SB et non de l’Église.
Au cours de l’enquête sur l’attentat contre Jean Paul II, les magistrats italiens ont émis l’hypothèse de la présence de complices à l’intérieur de la Cité du Vatican. Que vous dit votre documentation à propos d’informateurs qu’auraient eus les communistes au Vatican?
ZARYN: Je ne connais malheureusement pas la réponse. Comme vous le savez, nous avons la documentation du père Hejmo, dans laquelle on trouve un certain nombre d’informations sur le Vatican des années Quatre-vingt. Il s’agit surtout d’informations concernant les relations entre Jean Paul II et l’épiscopat polonais.
Les informateurs qui se trouvaient au Vatican ont signalé que ce dernier accordait une grande importance à la question politique en Pologne.
Nous avons aussi des informations sur d’autres agents qui espionnaient au Vatican, mais pour le moment, je ne peux pas révéler leurs noms.
Combien de temps durait la collaboration avec les services secrets?
ZARYN: Cela dépend. Le père Hejmo a rencontré des agents du SB de 1975 à 1988, (il a été à Rome à partir de 1981). Jusqu’en 1981, il a été protégé par un fonctionnaire du IVe département du ministère de l’Intérieur et ensuite, c’est le Ier département qui s’est chargé de lui. Je peux aussi vous raconter l’histoire d’un prêtre du clergé régulier qui a travaillé contre l’Église de 1949 à 1968, année de sa mort. Quelques années après sa mort, les fonctionnaires du SB ont fait disparaître tous les documents et tout le matériel qui se trouvait dans son “dossier de travail”. Heureusement, les rapports faits par ce prêtre ont été retrouvés par la suite, à l’intérieur d’autres fascicules.
Vous souvenez-vous d’au­tres collaborations prolongées?
ZARYN: Oui, celle du père Wladyslaw Kulczycki, qui a travaillé à Cracovie de 1948 à sa mort, en 1967. Il a collaboré sous les pseudonymes Torano et Zagielowski, et a donné un grand nombre d’informations au SB surtout sur l’évêque Karol Wojtyla et les jeunes catholiques qu’il rencontrait à Cracovie dans les années Soixante.
En revanche, beaucoup de prêtres n’ont été informateurs que pendant très peu de temps; deux ou trois rencontres avec le fonctionnaire du SB, puis ils demandaient un passeport pour se mettre à l’abri, hors de Pologne.
Parlons encore de l’attentat contre le Pape. Sur la base de votre expérience, quelle idée vous êtes-vous faite de ce qu’on a appelé la “piste bulgare”?
ZARYN: Je crois qu’on ne peut fournir aucune preuve solide de la responsabilité du SB dans la tentative d’assassinat du Pape, le 13 mai 1981. Malheureusement ou heureusement, je n’ai trouvé aucun document qui donne une information de ce genre.
Nous savons que les fonctionnaires du IVe département ont participé à une réunion à Moscou avec les fonctionnaires du KGB à propos d’un projet sur l’Église, mais on ignore les résultats de cette rencontre. Et nous savons aussi qu’il existait certainement un rapport entre les services secrets polonais et les services secrets soviétiques, en 1981. Mais il n’existe pas de documents à ce propos.
Je suis d’accord avec le journaliste allemand qui, sur la base d’un document de la Stasi daté de 1981, soutient que cette dernière a essayé de désinformer l’opinion publique en particulier l’opinion occidentale. Elle affirmait en effet que les Bulgares n’avaient rien à voir avec cette affaire et que la piste bulgare n’avait été indiquée que par les magistrats italiens. Nous savons aussi qu’Ali Agca aurait voulu parler plus tôt, et que, certainement sous la pression et les menaces de la Stasi, il a modifié sa première version des faits et s’est rétracté en disant: «J’étais seul à vouloir tuer le Pape». Il s’agit de bribes d’informations.
Il n’empêche qu’en Pologne et pour les Polonais, je peux le dire en tant qu’historien et en tant que Polonais présent à Varsovie le 13 mai 1981, le coupable c’était Moscou.
Avez-vous fait part des résultats de vos recherches à la Conférence épiscopale polonaise? Une collaboration positive est-elle née entre vous?
ZARYN: J’ai quelques contacts avec le primat et avec les évêques, qui m’ont autorisé à accéder aux archives secrètes du primat de Pologne de 1944 à 1989. Ce sont des documents extrêmement importants pour l’histoire. Je ne sais pas exactement quand je finirai, mais je prépare la publication des documents en polonais que j’ai recueillis au Conseil de l’épiscopat (Rada Glowna). Je collabore souvent avec les évêques et nos rapports sont très cordiaux. J’ai aussi publié quelques livres sur les relations entre l’État et l’Église catholique après la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agit de livres qui, comme ceux qu’ont écrit mes collègues, sont lus par des évêques et des prêtres et qui constituent aussi une lecture obligatoire pour les séminaristes, même si j’ai souvent écrit, par exemple sur le père Hejmo, des articles qui ne sont pas très bien vus par les hommes d’Église... Mais je ne suis pas l’historien de cour des évêques... Comme on dit en Pologne: pendant la période communiste, il y avait des historiens de cour, ...comme sous Louis XIV...
Avez-vous jamais trouvé des traces de conflit en Pologne entre les services secrets de l’Est et les services secrets occidentaux?
ZARYN: C’est une question très vaste, mais je peux en dire quelque chose. Personnellement, je connais mieux les documents du IIIe département entre les années Quarante et Cinquante. À l’époque, il y avait beaucoup de Polonais émigrés politiques, liés à la CIA, au MI6 britannique et aux services secrets allemands [c’est-à-dire à l’organisation du général nazi Gahlen, qui s’est rendu aux États-Unis en 1945 et a continué pendant des années à espionner contre l’Union soviétique]. De nombreux Polonais liés au gouvernement en exil ont travaillé contre les communistes en Pologne. Ils espionnaient la Pologne soviétique, pas les Polonais. Ils étaient dirigés par le gouvernement en exil ou par le général Wladyslaw Anders, lui aussi en exil. Et les communistes ont mené de grandes opérations contre ces espions polonais, comme l’opération César [1948-1952].
En réalité il s’agissait d’un jeu, d’un grand jeu! Mais on peut découvrir l’existence d’une tout autre histoire...
Une dernière question: quelles conclusions avez-vous personnellement tirées de cette étude si approfondie des archives concernant la période de la bataille idéologique contre l’Église catholique et contre la religion en général en Pologne?
ZARYN: Je peux dire que la police secrète a mené sans trêve sa bataille contre l’Église catholique, à savoir contre les institutions et les individus. Le SB a eu de nombreux instruments à sa disposition – homicides, arrestations et diffamation – et il les a utilisés contre son ennemi. Dans la seule période qui va de 1944 à 1956, les communistes ont arrêté presque mille prêtres, ils ont isolé certains évêques – pas seulement le cardinal Wyszynski –, ils ont démantelé l’Église catholique de rite grec, ils ont déporté en Sibérie de nombreux prêtres qui vivaient en territoire polonais, à l’est de la ligne Ribbentrop-Molotov. La police secrète a été créée par le NKWD soviétique [le Commissariat du peuple pour les Affaires intérieures, devenu ensuite le KGB] et elle a continué son travail sur les terres conquises après la deuxième guerre mondiale.
Mais il faut aussi dire que la police secrète n’était pas une institution souveraine: elle était dirigée par le parti communiste au pouvoir. Les communistes ont favorisé la lutte contre l’Église, ils ont assumé la responsabilité des effets de leur politique et ils ont poursuivi leur lutte en utilisant d’autres instruments: politiques, comme la propagande athée et le marxisme comme idéologie obligatoire, y compris à l’école; économiques, comme l’acquisition des propriétés de l’Église, par exemple dans l’ex URSS et en Hongrie; juridiques, comme la réglementation qui interdisait le développement de la culture catholique, des associations catholiques, la présence du catholicisme dans la vie publique, et ainsi de suite.
Il faut rappeler qu’en Pologne, en 1945, le peuple était catholique à quatre-vingt dix pour cent, comme il l’était en 1989. Il faut aussi dire qu’à partir de 1978, l’Église catholique a été dirigée par un pape qui venait de Pologne.
Cela fait partie des résultats de la politique religieuse établie par le pouvoir: Felix culpa.


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