Tiré de L’humanité du...

L’humanité du Christ est notre bonheur



de don Giacomo Tantardini


Tout d’abord, merci de m’avoir encore une fois invité dans cette splendide cathédrale, et merci tout particulièrement parce qu’il me semble que cette invitation renouvelée réalise cette «communion d’esprit», comme dit saint Paul, qui, quand elle arrive gratuitement, «met le comble à la joie». C’est ainsi que s’exprime Paul lorsqu’il écrit aux Philippiens (Ph 2,1-2). Merci aussi parce que, lorsque je suis entré, j’ai été accueilli par le curé de cette cathédrale et que celui-ci, après la génuflexion devant le tabernacle, m’a conduit tout simplement dans la crypte pour que je vénère le corps du martyr, saint Donnin, sur lequel est construite la cathédrale. Ce fait si simple m’a ému parce que l’église possède deux trésors. Le premier, c’est le tabernacle où il y a Jésus: je me rappelle encore que ma pauvre mère, quand elle m’emmenait, petit enfant, dans l’église de mon village, me disait: «Là, il y a Jésus» et: «Envoie un baiser à Jésus». Ma pauvre mère ne savait pas qu’envoyer un baiser veut dire adorer. En latin adorare veut dire donner un baiser1. Et ce fait d’envoyer un baiser à Jésus m’émeut aujourd’hui et me confirme dans la foi plus que les livres de Théologie. Le second trésor que possède une église, ce sont les corps des martyrs. Cela, pour quelqu’un comme moi qui ai eu la grâce de naître et de devenir prêtre dans le diocèse de Milan, de faire son séminaire à Venegono, est d’une évidence solaire. Le moment le plus beau de l’épiscopat de saint Ambroise à Milan, c’est lorsqu’il a trouvé les corps des martyrs Gervais et Protais – et, en effet, il s’est fait enterrer (allez dans la basilique Sant’Ambrogio à Milan où l’évêque Ambroise est enseveli) entre ces deux martyrs. «Nequimus esse martyres, sed invenimus martyres / Nous n’avons pas eu la grâce d’être martyrs mais nous avons trouvé les martyrs»2. C’était seulement pour vous remercier de m’avoir donné cette occasion.

 

 

«L’humanité du Christ est notre bonheur»: cette phrase n’est pas de moi. C’est celle par laquelle saint Thomas d’Aquin commence la partie de la Summa theologiae dans laquelle il parle de Jésus3. Il dit exactement ceci: «Ad hunc finem beatitudinis / À leur destin de bonheur [car ceci, le bonheur, est le destin de l’homme: ad hunc finem beatitudinis] / homines reducuntur per humanitatem Christi / les hommes sont ramenés à travers l’humanité du Christ». Pour aider à vivre la sainte fête de Noël, à vivre ces jours, à les vivre, comme je tenterai de vous le suggérer, dans la prière (car le mot prière indique tout, indique la position de l’homme face au Mystère de Dieu, du Mystère qui, comme le disait la phrase de Giussani qui a été lue tout à l’heure, se laisse entrevoir dans chaque expérience humaine), je voudrais partir d’une phrase d’une homélie de Noël de saint Antoine de Padoue, lequel est docteur de l’Église et est donc un saint dont l’enseignement est reconnu comme sûr par l’Église, un enseignement qui édifie la foi. Antoine, qui avait connu, dans son rapport avec l’Enfant Jésus, des expériences mystiques, a commencé son homélie en disant: «Noël: voilà le Paradis». Voilà le Paradis. Quand, il y a deux mille ans, à Bethléem, Marie L’a enfanté: voilà le Paradis. Le bonheur non plus promis, non plus attendu, non plus espéré, non plus entrevu de loin. Le bonheur fait chair était présent. Était visible. Quand Il est sorti du ventre de Sa mère, visiblement le bonheur, c’est-à-dire le Paradis, le plaisir suprême (comme dit Dante: «si che’l sommo piacer li si dispieghi» [afin que s’ouvre à lui le plaisir suprême]4), le plaisir suprême était venu Lui-même à la rencontre de l’homme: voilà le Paradis.

 

 

Et ainsi cette expression de saint Antoine (comme celle de saint Thomas d’Aquin: «Les hommes sont ramenés») se réfère avant tout à la création de Dieu, au fait que la création de Dieu est bonne. La création de Dieu est bonne, la création de Dieu est très bonne (cf. Gen 1,31). Dieu s’est émerveillé de Sa création. Dieu s’est émerveillé de la beauté de Sa création. «Pulchritudo eorum, confessio eorum», dit saint Augustin: «La beauté des étoiles est la reconnaissance, le témoignage du Créateur»5. Dieu lui-même s’est émerveillé de la beauté de Sa création et de la beauté de Sa créature au sommet de Sa création: la beauté de l’homme et de la femme. Non seulement il s’est émerveillé de cette beauté mais il a revêtu de grâce, c’est-à-dire d’une beauté encore plus gratuite, cette beauté. C’est si vrai que, selon l’image poétique de la Genèse, il a mis Adam et Ève dans le Paradis, dans le Paradis terrestre, et dans le Paradis terrestre le rapport avec le Créateur était immédiat. Cette immédiateté de rapport est poétiquement décrite par la Bible comme la promenade de Dieu avec Adam et Ève (cf. Gn 3,8). Péguy dit: tout était là émerveillement, un climat d’émerveillement, un climat de grâce6. C’est cela le Paradis, c’est cela le destin de bonheur.

 

 

Mais le péché est intervenu, un péché grave.

Pourquoi le péché originel est-il si grand en soi et dans ses conséquences, celles que nous payons tous? C’est, dit saint Augustin, parce qu’il était si facile de ne pas pécher7. Dans le Paradis terrestre, il était si facile de ne pas pécher parce que la présence du Mystère était très proche, très immédiate, parce que l’émerveillement de cette présence se renouvelait continûment. Il était si facile de ne pas pécher. C’est pour cela que ce péché a été si grave. Il était si facile de ne pas céder au tentateur. Il était si facile de s’apercevoir que le bonheur, ce n’était pas de devenir Dieu (cf. Gn 3,5) mais que le bonheur, c’était d’être avec Dieu: c’était si facile! C’est précisément parce qu’il était si facile de ne pas pécher que le péché a été si grand. Mais le cœur est resté. C’est important. Saint Augustin qui, suivant avant tout ce qu’Ambroise, témoin de la Tradition, lui avait enseigné à Milan8, souligne avec une grande force le péché originel, assure lui aussi que l’image de Dieu, quoique blessée, reste dans l’homme9. Le cœur, quoique mortellement blessé – c’est si vrai que l’on meurt –, le cœur, quoique mortellement blessé, reste attente de bonheur, reste désir de bonheur, le cœur reste capable du bonheur «Capax Dei / capable de bonheur»10. Et cette bonté de la création, il y a aussi des signes très humains qui en témoignent. Le sourire que l’enfant adresse à son père et à sa mère est le signe que Dieu n’a pas abandonné Sa création. La venue au monde d’un enfant est une belle chose. La nature humaine, quoique blessée par le péché, reste un signe de la beauté et de la bonté du Créateur. Elle atend le bonheur. Elle reste attente du bonheur.

 

 

Et ainsi le Seigneur est intervenu, il est intervenu avant tout… Comme il est beau d’entendre, le jour de la fête de l’Immaculée Conception, lorsqu’on lit le passage de la Bible sur le péché originel, la promesse, cette belle promesse: «Je mettrai une hostilité», dit le Seigneur au serpent, au tentateur, au diable, «entre toi et la femme, entre ton lignage», ceux qui appartiennent à Satan, au diable, «et le sien. Il t’écrasera la tête» (Gn 3,15). Le lignage de la femme t’écrasera la tête. La femme aussi (comme l’indique l’image de Marie Immaculée dans la chapelle de l’eucharistie de cette cathédrale) t’écrasera la tête.

 

 

Le Seigneur, pour soutenir cette promesse, a donné la loi à Son peuple. Et la loi est en vue du bonheur. Cela aussi est beau: tous les commandements de Dieu sont en vue du bonheur. «Fais cela afin d’être heureux» (cf. Dt 6,3.18. 24). Les dix commandements sont en vue du bonheur. La loi indique le chemin. Et c’est ce que l’apôtre Paul, surtout dans ses épîtres aux Galates et aux Romains, souligne le plus: la loi donne la connaissance du chemin, mais la loi ne fait pas marcher sur le chemin. Et donc le bonheur reste lointain. La loi indique où est le bonheur. La loi et les prophètes ont indiqué où est le bonheur: «Pour moi, approcher de Dieu est mon bien» (Ps 72,28). C’est ce que dit le psaume 72, qui est très beau. C’est le psaume qui part du fait que les mauvais prospèrent, de la question que pose le fait que prospèrent ceux qui nient pratiquement Dieu. Et le psalmiste est bouleversé par cette prospérité des méchants. Et il dit: «Moi stupide, je ne comprenais pas, j’étais une brute devant toi» (Ps 72,22). Puis on découvre que «Pour moi, approcher de Dieu est mon bien» (Ps 72,28), qu’être près de Toi est mon bonheur. Mais c’est une chose de le savoir, une autre de le vivre. Vous voyez, au fond, tout le mystère de l’homme et le mystère de la réponse chrétienne est là: une chose est de savoir où se trouve le bonheur, une autre est d’être heureux, une chose est de connaître la route qui mène au bonheur, une autre est de marcher sur cette route qui mène au bonheur. Et si l’homme est mortellement blessé sur le bord de la route – comme le montre l’image de la parabole du bon Samaritain (cf. Lc 10,25-37) – l’homme ne peut marcher seul vers le bonheur, même quand il sait que le bonheur est le Seigneur, même quand il sait que le bonheur est d’être avec Dieu, même quand il sait. Je crois qu’en cela, l’expérience de saint Augustin est pour toujours représentative de l’expérience humaine. Augustin savait que le bonheur était l’unité avec Dieu. Augustin savait que le bonheur était l’unité avec le Créateur. Et il dit: «Je tenais cela pour certain»11. Et il ajoute: «Cette vérité l’emportait mais les plaisirs du monde me séduisaient, m’enchaînaient»12. Les plaisirs du monde sont même plus séduisants qu’une vérité certaine. Les plaisirs du monde, tous les types de plaisirs du monde. L’homme suit ce qui lui plaît le plus13. Les plaisirs du monde sont plus séduisants. Il dit encore dans les Confessions: «Que le vrai bonheurfût l’unité avec Dieu, c’était pour moi évident, mais ma volonté ne se détachait pas des images des plaisirs partiels»14. L’évidence de la vérité n’a pas la force de détacher la volonté des images – comme cette observation est réaliste! – des plaisirs mondains, des plaisirs partiels, des plaisirs qu’Augustin reconnaissait être partiels, non vrais. Et pourtant l’évidence de la vérité n’a pas la force de détacher la volonté de leurs images. Au plus, et c’est là le plus haut point de la morale pharisienne, Platon dit que, quand nous parlons de la vérité, nous oublions aussi les femmes. Au plus, à ce moment, il y a un oubli. Le christianisme n’oublie rien. L’étreinte de la grâce donne la possibilité d’aimer de façon chaste, non d’oublier. En tout cas, le maximum de la moralité platonicienne, c’est l’oubli, à ce moment là, d’une certaine image de plaisir.

La loi est bonne, elle indique la route à suivre. Mais il y a une mer, dit encore Augstin avec une image dont il est facile de saisir le sens, il y a une mer infinie entre la loi qui indique le bonheur et le bonheur. L’homme n’est pas capable de traverser cette mer15.

 

 

Il y a deux mille ans, le bonheur est venu: voilà le Paradis. Le bonheur est venu: non plus promesse, non plus indiqué comme but du chemin de l’homme. Le bonheur est venu, le Paradis est venu. Il est venu dans la chair, de manière à être vu, de manière à être touché, de manière à être pris dans les bras. De manière à ce qu’Augustin puisse dire: «Je savais que le bonheur était Dieu, mais je ne jouissais pas de Toi [car on ne jouit pas du savoir, on jouit lorsqu’on est embrassé], mais je ne jouissais pas de Toi tant que, humble, je n’embrassais pas mon humble Dieu Jésus»16. Telle est l’expérience du bonheur sur la terre: embrasser mon humble Dieu Jésus. Non pas Dieu, lointain destin, mais Dieu fait enfant, tout petit enfant: ainsi le Paradis, le bonheur, est venu à notre rencontre, ainsi le bonheur s’est fait proche, il s’est fait à portée de regard, à portée de cœur, à portée de mains, de mains qui peuvent l’enlacer. Le Paradis sur terre, c’est Lui: «Il est fidèle le Dieu…». Comme j’ai été frappé, tout à l’heure, en récitant les Vêpres, par cette phrase que j’avais choisie pour l’image de mon ordination sacerdotale. Mais les choses se comprennent quand le Seigneur les fait comprendre… «Il est fidèle le Dieu par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils, Jésus-Christ, notre Seigneur» (1Co 1,9). La communion est avec son Fils Jésus-Christ notre Seigneur. C’est la communion de sonFils Jésus-Christ notre Seigneur. C’est Jésus-Christ, le bonheur de l’homme. C’est cet homme, dans sa singularité, dans son individualité, dirais-je17: cet homme. La communion de son Fils Jésus-Christ notre Seigneur.

 

 

Il y a une anticipation de ce Paradis, de cette possibilité d’embrasser, de cette possibilité de familiarité avec Jésus-Christ; avec le Paradis qui a un nom, un visage, une chair: Jésus-Christ. Cette anticipation, c’est l’Immaculée Conception. Parce que seize ans plus tôt (Marie aura eu quinze ans quand elle a conçu Jésus), lorsque Joachim et Anna, de façon tout à fait naturelle – comme chacun de nous a été conçu – ont conçu ce petit être, ce petit être n’a pas été marqué par le péché originel. Dès cet instant, dès le premier instant où Marie a été conçue, elle a été aimée. Elle a été aimée. Elle a été préférée. C’est quelque chose d’extraordinaire dans ce monde qu’il existe un être qui ait été toujours aimé. Car il faut partir de là pour comprendre la Vierge: un être qui a toujours été aimé, qui n’a jamais connu la blessure qui rend étranger au bonheur, qui a toujours été aimé par le bonheur qui est le Seigneur, qui a toujours été aimé. Elle a toujours été aimée parce qu’elle a été préservée, même dans ce premier instant, du péché. Non pas pour elle. Car elle aussi a été rachetée. Marie est rachetée comme est racheté chacun de nous par l’unique Rédempteur. Pie IX, lorsqu’il a défini le dogme de l’Immaculée Conception, a reconnu deux choses: primo que Marie est rachetée, secundo qu’elle a été rachetée de façon unique, de façon très sublime, dit le Concile œcuménique Vatican II18, elle a été rachetée par avance, préservée du péché originel19. Elle a été préservée de la blessure du péché, c’est-à-dire qu’elle a toujours été aimée, pour le sang de son Fils, pour ce sang qu’elle a donné à son Fils. En prévision de la mort de son Fils, dit le dogme. En prévision de ce sang versé sur la croix, en prévision de ce sang qui était de son Fils et qu’elle Lui avait donné elle, pendant ces neuf mois qu’elle L’avait porté dans son ventre. En prévision de ce sang qui était de Jésus et qui venait de Marie20. En prévision de ce sang de Jésus, elle a toujours été aimée, elle a été rachetée dès le premier instant, dès le premier instant de son existence préservée du péché.

Ainsi saint Ambroise décrit-il, selon moi d’une façon admirable, ce petit être, cette petite fille qui s’appelle Marie. Il la décrit ainsi: «Virgo erat Maria / Marie était vierge / corde humilis / et elle était humble de cœur / in prece pauperis spem reponens / et elle mettait tout son espoir dans la prière du pauvre, dans la demande du pauvre»21. Cette petite fille, du fait qu’elle était pleine de grâce, pleine de la grâce dont elle avait été remplie dès le premier instant de son existence, vivait ainsi. Elle vivait comme vierge, c’est-à-dire comme toujours aimée. La virginité est cette gratuité que le fait d’être aimé donne à la vie. Cette possibilité de gratuité, et donc de possession, que le fait d’être aimé en avance donne à la vie humaine. Elle vivait comme vierge. Humble de cœur, parce qu’elle avait toujours été aimée. Ce n’est pas elle qui s’était donné d’être toujours aimée. On ne peut pas se donner d’être toujours aimé, on peut seulement recevoir. Elle était humble de cœur et mettait ainsi tout son espoir, tout l’espoir de sa vie, dans la prière du pauvre, dans la demande que cet amour soit renouvelé à chaque instant, que cette plénitude de grâce soit renouvelée continuellement. Car au Paradis aussi nous demanderons toujours, comme l’a remarquablement dit le Pape, l’année dernière à Cologne22: au Paradis aussi, nous demanderons toujours. Dans le Mystère de la Trinité, le Fils reçoit toujours tout l’être du Père et, oserai-je dire, par surabondance infinie de douceur, le demande toujours. C’est si vrai qu’il dit: «Le Fils ne peut rien faire de lui-même» (Jn 5,19.30). Comme elle me plaît, comme elle me réconforte cette phrase de Jésus répétée par deux fois dans l’Évangile de Jean: «Le Fils ne peut rien faire de lui-même». «Il ne retint pas jalousement» (Ph 2,6) sa divinité; la divinité du Fils de Dieu est un don perpétuel: Dieu né de Dieu, Lumière née de la Lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, engendré, non pas créé, de même nature que le Père.

 

 

Je voudrais parler maintenant de ce qu’il y a de plus merveilleux dans la façon dont le Paradis arrive. «L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée appelée Nazareth à une vierge» (Lc 1,26-27). À une vierge: combien de fois l’Évangile le répète! À une vierge: dans son cœur et dans son corps; dans son corps parce que dans son cœur, mais dans son corps! Il faut accepter la doctrine de la foi: que Marie est toujours restée vierge dans son cœur et dans son corps. Car cette plénitude de grâce est le salut de la chair: «À une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David; et le nom de la vierge était Marie. Il entra chez elle et lui dit: “Salut, comblée de grâce [“Chàire kecharitomène / Réjouis-toi, pleine de joie”] /, le Seigneur est avec toi”» (Lc 1,27-28).

«Virgo Verbum concepit / la Vierge conçut le Verbe / Virgo permansit / elle resta vierge / Virgo genuit Regem omnium regum / Vierge, elle enfanta le Roi de tous les rois». C’est là l’antienne que, quand j’étais au séminaire de saint Pierre de Vérone, à Seveso, l’on chantait le dimanche aux Vêpres, dans la basilique où se trouve le couteau avec lequel ce dominicain a été tué. Le martyre de ce dominicain a été quelque chose de bouleversant pour l’Église, au Moyen Âge. Un martyre était un fait extraordinaire en terre chrétienne. Ainsi donc lorsque Pierre de Vérone, venant de Côme à Milan, a été tué dans les bois voisins de Seveso, son martyre a bouleversé la chrétienté de l’époque23. Je disais donc qu’au séminaire, le dimanche, dans la basilique, on chantait les Vêpres de la Vierge; et les Vêpres de la Vierge se terminent, dans la liturgie ambrosienne, par cette petite antienne: «Virgo Verbum concepit…».

Elle a dit fiat, me voici. «Me voici. Je suis la servante du Seigneur, qu’il soit fait selon Ta parole» (Lc 1,38). «Me voici» est une prière. «Me voici, qu’il advienne, qu’il arrive»: c’est une prière. Car seul Dieu crée, seul le fiat de Dieu est créateur, le fiat de Marie, ce fiat qui a conçu le Fils unique de Dieu, ce fiat était une prière. Ce n’était pas héroïsme de sa part, ce n’était pas capacité de sa part, c’était une prière: «Me voici, qu’il advienne, qu’il arrive». «Qu’il arrive» est une demande. Et ainsi elle L’a conçu virginalement, comme virginalement elle L’a enfanté. Comme elle est importante la virginitas in partu de Marie! Comme il est important d’accepter la certitude de foi qu’elle L’a enfanté virginalement. Car le salut ne vient pas des douleurs de l’enfantement! Le salut vient de la grâce. Le salut vient de la grâce, il ne vient pas des douleurs de l’enfantement, le salut vient du fait d’être aimé, il ne vient pas de la douleur de l’homme. Il vient du bonheur de Dieu, il vient de la plénitude du bonheur de Dieu! Le salut vient du fait d’être aimé. Qu’elle L’ait enfanté sans douleur24, qu’elle L’ait enfanté sans violence, qu’elle L’ait enfanté virginalement, c’est-à-dire dans l’émerveillement, c’est le signe que le salut naît du fait d’être aimé. La certitude de foi concernant l’enfantement virginal est résumée par Pie XII par cette expression, dans la Mystici Corporis: «par un enfantement admirable». Tandis que chacun de nous a été enfanté dans la douleur, cet enfantement-là a été un enfantement admirable, sans douleur, sans violence: car le salut vient de la grâce. Le salut ne naît pas du péché, le salut ne naît pas du désert: il fleurit dans le désert, il fait refleurir le désert, mais il vient du fait d’être aimé. Le fait d’être aimé naît du bonheur de Dieu. On est aimé en raison de la surabondance de bonheur qu’est la Trinité, on est aimé en raison de la surabondance de correspondance qu’est l’Amour éternel du Père et du Fils, que nous appelons Esprit Saint. On est aimé par grâce. L’enfantement de Marie, l’enfantement admirable de Marie est le signe physique, est le signe charnel que le salut ne vient pas de nous, que le salut ne vient pas de la souffrance, que le salut ne vient pas de la douleur, que le salut ne vient pas du cri de l’homme. Le salut vient par grâce de Dieu, bonheur infini, par surabondance de bonheur, par surabondance de grâce.

 

 

Et la virginité de Joseph. Et le fait que Marie soit restée toujours vierge peut être saisi par expérience: si l’on n’a pas l’expérience du Paradis, du Paradis sur la terre, on ne peut comprendre que la charité, c’est-à-dire le Paradis présent, est plus puissant, est plus puissant comme attrait que l’attrait que l’homme et la femme éprouvent pourtant naturellement l’un pour l’autre. Saint Thomas d’Aquin dit que pour l’homme pourtant blessé par le péché, la charité, comme attrait, par l’intensité de son attrait et du plaisir qu’elle donne, est plus puissante que tout attrait naturel25. La force de l’attrait qu’exerce la charité ne peut être comparée avec celle de l’attrait naturel de l’homme pour la femme. C’est peut-être faute de cette expérience que l’on a dépeint, comme pour défendre de cette manière la virginité de la Vierge, saint Joseph sous les traits d’une personne âgée. Mais c’était le Paradis présent, c’était le plus présent qui rendait virginal, si humain ce rapport. Aucun homme n’a aimé sa femme comme Joseph a aimé Marie. Car c’était un amour qui naissait du bonheur, il ne naissait pas d’un manque, comme c’est si souvent le cas de notre pauvre affection. Quand l’affection naît d’un manque, elle garde inévitablement quelque trace de violence. Cet amour naissait d’une plénitude de bonheur: voilà ce qu’était l’amour de cet homme, de ce pauvre homme nommé de Joseph pour la plus belle des créatures qu’était Marie. Il y aurait eu un moins dans leur rapport s’il n’avait pas été virginal. Il y aurait eu un moins. Un moins de plaisir. C’était humainement impossible de ne pas jouir pleinement du Paradis présent. Et cela n’enlève rien à l’humanité. Les Vêpres de Noël de la liturgie ambrosienne se concluent par cette antienne: «Ioseph conturbatus est de utero virginis / Joseph fut troublé quand il s’aperçut que le ventre de Marie grossissait parce qu’elle attendait un enfant». L’un des éléments qui, du point de vue exégétique, m’a confirmé dans ma foi, me vient de don Saldarini qui a expliqué, en première année de Théologie, ce passage de l’Évangile de Matthieu: «Joseph, son époux, qui était un homme droit, résolut de la répudier sans bruit» (Mt 1,19). Il voulait la répudier, non parce qu’il doutait de Marie, mais parce qu’il s’était aperçu que le Mystère était présent et agissait. La justice pour les juifs, face au Mystère qui agit, consiste à se tenir à distance (cf. Es 3,5). Josep­h n’a jamais douté de Marie, il n’a pas douté d’elle quand il s’est aperçu que le ventre de Marie grossissait parce qu’elle attendait un enfant, il n’a jamais douté. C’est seulement qu’étant juste il ne voulait pas interférer avec le Mystère présent, avec le Mystère du Dieu infini qui se rendait visible, tangible dans sa femme. Il a pensé alors à la répudier en secret. Et l’ange est apparu à Joseph et lui a dit: «Joseph, fils de David, ne crains point de prendre chez toi Marie, ton épouse: car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint» (Mt 1,20). L’un des plus beaux versets de l’hymne de Noël de saint Ambroise dit: «Non ex virile semine / Ce ne fut pas par une semence humaine / sed mystico spiramine / mais par un souffle de grâce / Verbum Dei factum est caro / que le Verbe de Dieu se fit chair / fructusque ventris floruit / et que le fruit du ventre de Marie fleurit»26. «Fleurit», comme a dit Giussani le 24 décembre 2004, deux mois avant de mourir: «En ce lieu [Bethléem] fleurit»27. Le ventre de Marie fleurit, le fruit du ventre fleurit.

 

 

Il y a une semaine, j’ai suggéré à un journaliste de 30Jours de téléphoner à Jérusalem au cardinal Martini pour lui demander s’il pouvait nous envoyer une méditation sur Noël. Vingt-quatre heures plus tard, le cardinal Martini a envoyé de Jérusalem une très belle méditation. Si belle que La Stampa de Turin l’a publiée hier, intégralement, avec annonce en première page28. Cette méditation du cardinal Martini est belle tout entière. Une phrase la résume. Si Noël est si simple, s’il est la simplicité d’un enfant qui naît, qui naît de façon admirable, mais qui naît d’une femme comme chacun de nous(cf. Ga 4,4), si le Mystère est si humain, sa reconnaissance doit être aussi humaine, doit être aussi simple. La foi ne peut qu’être simple. Si Jésus est venu au monde de façon si simple, il ne peut être venu pour nous compliquer la vie. Si le bonheur est venu, il ne peut être que simple d’embrasser le bonheur, il ne peut être que simple d’être content en embrassant le bonheur. Sinon la loi aurait suffi pour indiquer comment atteindre le bonheur, comment aller au Paradis (cf. Mt 19,17). Pour cela, Moïse suffisait (cf. Jn 1,17). Il aurait été inutile que le bonheur vînt lui-même si on ne pouvait pas ensuite l’embrasser facilement, simplement, si ensuite on ne pouvait pas le reconnaître facilement, simplement. «Mestier non era [Il n’était pas besoin]», dirait Dante, «parturir Maria [que Marie enfantât]»29. Et, de fait, il a été facile pour les bergers de le reconnaître. Il a été simple, une fois qu’ils ont eu entendu l’annonce des anges, de reconnaître cet enfant. Ils n’ont pas reconnu qu’Il était la Seconde Personne de la Sainte Trinité faite homme. Non. Ils ont seulement découvert que, dans leur vie, ils n’avaient jamais rien vu d’aussi beau, jamais éprouvé un bonheur aussi humain. Ils ont reconnu cela. Face à cet enfant, face à Joseph et à Sa mère Marie, ils ont reconnu qu’ils n’avaient jamais vécu une expérience de ce genre. Ils ont reconnu qu’une telle correspondance à leur cœur ne leur étais jamais arrivée.

Je voudrais ainsi lire un texte de Giussani qui, selon moi, est l’un des plus beaux qu’il ait écrit, l’un de ceux qui résument le mieux sa pensée, dans lequel il dit ce qu’est ce rapport humble avec l’humble Jésus, cet humble embrassement avec l’humble Jésus, cet embrassement humble avec le bonheur ici sur la terre, cette communion de son Fils Jésus-Christ, cette possibilité de familiarité avec son Fils Jésus-Christ. Giussani dit: «Ton rapport avec le Christ ne doit pas être évolué, habile, mûr, pour que ta personnalité en naisse et que ta personnalité sache créer à partir de lui la compagnie [sache aimer. Quand on est aimé gratuitement on peut aimer librement, c’est-à-dire gratuitement]. Il suffit de la surprise qu’eurent Jean et André [qui avaient été les deux premiers qui, au début de Sa vie publique, L’ont rencontré], qui ne comprenaient rien [qui ne comprenaient rien et qui pourtant avaient tout compris. C’est si vrai qu’André rencontre son frère Pierre et lui dit: «Nous avons trouvé le Messie» (Jn 1, 41). Ce qu’ils attendaient, ils l’avaient trouvé. Ils avaient donc tout trouvé car ce qu’attend le cœur, c’est tout, et donc ils avaient tout compris. Il suffit de la surprise qu’eurent Jean et André qui ne comprenaient rien]; il suffit de la surprise, il suffit d’un signe de dévotion, il suffit de l’émerveillement. Plus précisément. Il suffit de le demander…»30. Il en a été de même pour les Mages. Comme il est beau que les Mages partent sans avoir reçu d’annonce. Les bergers courent à Bethléem parce que les anges annoncent la nouvelle, ils vont donc là-bas pour avoir entendu une parole. Mais les Mages, eux, vont là-bas pour avoir entrevu un indice. «Sic Magi ab ortu solis / per sideris indicium»: c’est ce que dit l’hymne Mysterium Ecclesiae des Vêpres de la Vierge que je chantais, enfant, le dimanche, au séminaire de Saint Pierre de Vérone martyr. Pour avoir entrevu un indice, l’indice d’une étoile. Comme dit le cardinal Martini dans l’article de 30Jours que je vous invite à lire. Il suffit de petits indices pour croire. C’est si vrai que Jean, quand il court au sépulcre le matin de Pâques, croit, à la seule vue du suaire, de la façon dont il était replié et qui permettait d’entrevoir que le Seigneur était ressuscité: il n’y a eu que ce petit indice. C’est un petit indice, une étoile, qui fait partir les Mages, lesquels continuent leur voyage en suivant cette étoile. Mais à un certain moment, cette étoile, ils ne la voient plus. Et il est très beau que, ne la voyant plus, ils demandent. Quand on ne voit plus l’étoile, on ne peut rien faire d’autre que de demander. Nous ne pouvons pas, nous, posséder la grâce, nous ne pouvons pas la posséder. Ce n’est pas une science qui se possède. Quand on ne voit plus la grâce qui précède, on ne peut que demander. Ils ont demandé, ils ont demandé, même à Hérode, ils n’ont fait que demander. On suit la grâce et quand l’étoile de la grâce n’est pas évidente, on ne peut que demander. Et puis, – «videntes stellam Magi gavisi sunt gaudio magno valde»31(cf. Mt 2,10) – quand ils l’ont revue, comme un nouveau début, quand ils l’ont revue (les mots de la liturgie ne savent comment exprimer cette joie d’un nouveau début, parce que cette joie est encore plus belle, «gavisi sunt gaudio magno valde») ils se sont réjouis d’une joie, d’une joie plus grande encore, d’une joie plus belle encore. Giussani continue: «Plus précisément suffit le fait de le demander [parce que l’émerveillement le fait demander], cette perception embryonnaire de ce qu’Il est qui te le fait demander, pour laquelle tu le demandes»32. Pour commencer l’expérience du bonheur sur la terre, pour embrasser le bonheur sur la terre, pour embrasser, humble, mon humble Jésus, il suffit de cette perception embryonnaire pour laquelle tu Le demandes, de cet émerveillement embryonnaire, de cette douceur embryonnaire pour laquelle tu Le demandes. Il suffit de cela pour commencer sur la terre à embrasser le bonheur.

 

 

Et je voudrais, pour finir, suggérer quelque chose que le Seigneur m’a fait comprendre, c’est le dernier pas d’un chemin qu’Il donne. Car c’est Lui qui donne les choses en son temps, en son temps! On ne peut rien anticiper, on ne peut que remercier de ce qui arrive. Et ce qui arrive, pendant que cela arrive, rend évident ce fil d’or qu’est la prédilection du Seigneur. Prédilection qui commence de la venue au monde, et de cette venue à la vie de grâce qu’est le baptême, lequel rend aussi très belle la venue au monde. La gratitude à l’égard de ton père et de ta mère qui t’ont mis au monde, qui m’ont mis au monde, est rendue incomparablement plus simple, plus chère, plus proche, quand je m’aperçois que c’est à travers eux que j’ai été porté sur les fonts baptismaux. Et après le baptême, comme me l’a raconté une fois ma pauvre mère – ou mieux, comme elle l’a raconté à mes sœurs qui ensuite me l’ont raconté –, après le baptême, elle m’a porté à l’autel de la Vierge pour m’offrir à elle. L’affection que quelqu’un a pour sa mère qui lui a donné la vie, est incomparable quand il connaît ce geste si chrétien et si humain d’offrir son premier fils à la Vierge.

Je veux dire que, quand la vie se ramène à la prière et donc se ramène à la certitude que «le Seigneur prend soin de moi» (Ps 39,18) – car la prière, cet embrassement qui se renouvelle humble à l’humble Jésus, donne à la vie cette sécurité sereine de l’enfant dont «le Seigneur prend soin de moi» – et quand ce «le Seigneur prend soin de moi» embrasse vraiment notre pauvre personne, nous commençons à comprendre que le Seigneur prend soin de tous les hommes. Et alors la miséricorde à l’égard de tous les hommes devient comme la dernière grâce, comme le dernier chemin de grâce que donne le Seigneur. Car bien des fois j’ai répété avec gratitude, à en être ému jusqu’aux larmes, que «le Seigneur prend soin de moi». Mais ce peut être comme lorsqu’on est enfant – je ne parle pas de tout petits petits enfants, mais d’enfants de cinq, six, sept ans – et que l’on joue avec le désir de vaincre (et c’est là le propre de l’homme, c’est le désir naturel de l’homme de vaincre, et ce désir naturel sera parfait au Paradis. «Malheureux», dit saint Augustin, «ceux qui préfèrent la lutte permanente à la victoire, alors que l’on peut lutter seulement pour vaincre»33). Quand on est un enfant de cinq, six, sept ans, on veut vaincre, mais on veut aussi que les autres perdent, on veut aussi que les autres soient défaits. Quand on est tout petit petit, on veut seulement vaincre. Quand on est tout petit petit et que l’on s’endort dans les bras de son père et de sa mère, ce n’est pas un problème que les autres perdent, que les autres soient défaits. Et cela, c’est le début de ce «montrez-vous miséricordieux comme votre Père est miséricordieux» (Lc 6,36) qui «fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons» (Mt 5,45) et donne la vie et, dans sa miséricorde, éventuellement au dernier moment, peut donner la vie éternelle même aux plus méchants. «Montrez-vous miséricordieux comme votre Père est miséricordieux». Et cela naît du fait d’être tant aimé, naît du fait que «le Seigneur prend soin de moi». S’il prend vraiment soin de l’âme et du corps – car il prend soin de tout, le Seigneur, «le Seigneur prend soin de moi» –, alors, comme il est beau qu’il prenne soin de tous les hommes! Comme il est beau, comme dit Manzoni, dans La Pentecoste, comme il est beau que «sia divina ai vinti mercede il Vincitor» [pour les vaincus, le prix divin soit le Vainqueur], qu’il n’y ait aucun vaincu de mauvaise façon, mais que tous les hommes soient vaincus par le fait d’être tant aimés, vaincus par ce bonheur à portée d’yeux, à portée de cœur, à portée d’embrassement. Que «sia divina ai vinti mercede il Vincitor», que pour les vaincus le prix divin soit le Vainqueur, le bonheur même, le Vainqueur, Celui qui est seul à vaincre, qui est seul à avoir vaincu, parce que seul il séduit et enchaîne, il séduit et enchaîne le cœur comme plaisir suprême, Celui qui seul séduit dans une plénitude de correspondance et enchaîne le cœur et, au Paradis, le séduit et l’enchaîne pour toujours.

 

 

Je finis par la lecture d’un passage d’Augustin sur la beauté de Jésus: «Pour nous donc qui Le reconnaissons, que le Verbe de Dieu vienne à notre rencontre dans toute occasion, beau / pulcher Deus, Verbum apud Deum, / beau en tant que Dieu, Verbe près de Dieu, / pulcher in utero virginis / beau dans le ventre de la Vierge, où il n’abandonna pas sa divinité et assuma l’humanité, beau enfant à peine né; car, même lorsqu’enfant il buvait le lait et était pris dans les bras, les cieux ont parlé de Lui, les anges L’ont loué, Lui petit enfant, une étoile a conduit jusqu’à Lui les Mages. Il a été adoré dans la mangeoire, nourriture des hommes doux. Beau donc au ciel et beau sur la terre; beau dans le ventre de Marie, beau dans les bras de ses parents [Marie et Joseph], beau dans les miracles, beau aussi dans la flagellation. [Oui, aussi dans la flagellation parce que – dit Augustin – dans la flagellation, quand il était totalement défiguré, si tu considères pourquoi il était devenu ainsi, pourquoi il s’était laissé battre par les fouets ainsi, si tu considères la miséricorde par laquelle, pour toi, par amour pour toi il s’était laissé mettre dans cet état, il est beau aussi sous les fouets. Quand Marie L’a pris dans ses bras, mort, sous la croix («vidit suum dulcem Natum morientem desolatum / elle a vu son doux enfant, son doux fils, mourir seul, seul sur la croix»34), quand elle L’a pris dans ses bras, il n’y avait rien de plus beau que son fils, que son fils défiguré. Ainsi le bon larron qui lui avait dit: «Jésus, souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton royaume» (Lc 23,42), n’avait jamais de toute sa vie rencontré rien d’aussi beau que cet homme qui lui disait en ce moment, au moment de sa mort: «Dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis» (Lc 23,43)]. Beau dans les miracles, beau dans la flagellation, beau quand il invitait à le suivre, beau quand il n’a pas dédaigné la mort, beau quand il a expiré, beau quand il est ressuscité / pulcher in ligno, pulcher in sepulcro, pulcher in coelo / beau sur la croix, beau aussi dans le sépulcre, beau au ciel»35.

Merci.

 

 

Notes

1 Cf. Benoît XVI, homélie de la messe de Cologne, le 21 août 2005.

2 Ambroise, hymne Grates tibi, Iesu, novas; cf. Antique Bréviaire Ambrosien, in festo sanctorum Gervasii et Protasii martyrum (19 juin).

3 Thomas d’Aquin, Summa theologiae III q. 9 a. 2.

4 Dante, Paradis XXXIII, 33.

5 Augustin, Sermones 241, 2.

6 Cf. Ch. Péguy, Ève, Œuvres poétiques complètes, Gallimard 1975, p. 935.

7 Cf. Augustin, De civitate Dei XIV, 15, 1.

8 Cf. Augustin, Contra Iulianum opus imperfectum VI, 21.

9 Cf. Augustin, De Trinitate XIV, 8, 11.

10 Ibid.

11 Augustin, Confessiones VIII, 5, 12.

12 Ibid.

13 Cf. Augustin, In Evangelium Ioannis XXVI, 4.

14 Augustin, Confessiones X, 22, 32.

15 Cf. Augustin, In Evangelium Ioannis II, 4.

16 Augustin, Confessiones VII, 18, 24.

17 Cf. L. Giussani, «“A me pare che non cerchino Cristo”», in L’attrattiva Gesù, Bur, Milan 1999, p. 148.

18 Constitution dogmatique Lumen gentium, n. 53; Paul VI, Credo du peuple de Dieu, 30 juin 1968.

19 Pie IX, bulle Ineffabilis Deus (Denzinger 2803).

20 Cf. Liturgie des heures, solennité de Sainte Marie Mère de Dieu, office des lectures, seconde lecture: tiré des Lettres de saint Athanase, évêque.

21 Ambroise, De virginibus II, 2; cf. Antique Bréviaire Ambrosien, in festo Praesentationis Beatae Virginis Mariae (21 novembre), ad Matutinum, Lectio III.

22 Cf. Benoît XVI, rencontre avec les évêques d’Allemagne, à Cologne, le 21 août 2005.

23 Cf. Jean Paul II, Lettre au cardinal et archevêque Carlo Maria Martini pour le 750e anniversaire du martyre de saint Pierre de Vérone, 25 mars 2002.

24 Cf. Antique Bréviaire Ambrosien, in festo Septem Dolorum Beatae Mariae Virginis (15 settembre), antiphona ad Laudes: «Maria virgo quos in partu dolores effugerat...»; hymne Dum vitam in ara Golgothae: «Mater doloris nescia / Gavisa partum viderat».

25 Cf. Thomas d’Aquin, Summa theologiae II-II q. 23 a. 2.

26 Ambroise, hymne Veni Redemptor gentium; cf. Antique Bréviaire Ambrosien, in Nativitate Domini.

27 L. Giussani, Un Être nouveau en ce lieu fleurit in G. Tantardini, Souvenir de rencontres, in 30Jours n. 3, mars 2005, p. 26.

28 C.M. Martini, Presepio, un piccolo segno che ci invita a credere, in La Stampa, 19 décembre 2006, p. 47; Id., Simplicité de Noël, in 30Jours n. 11, novembre 2006, p. 31-38.

29 Dante, Purgatoire III, 39.

30 L. Giussani, «Riandare al primo incontro», in L’attrattiva Gesù, op. cit., p. 23.

31 Antique Bréviaire Ambrosien, in Epiphania Domini, ad Vesperas, psallenda II.

32 L. Giussani, «Riandare al primo incontro», in L’attrattiva Gesù, op. cit., p. 23.

33 Augustin, De vera religione 53, 102.

34 Iacopone da Todi, Stabat Mater.

35 Augustin, Enarrationes in psalmos 44,3.



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