Tradition et modernité
Di Segni, Rome et le judaïsme italien
Le rouleau d’Esther (meghillà) écrit et enluminé en 1633 par Yacov Zoref de Castelnuovo et conservé au Musée juif de Rome
De père romain et de mère ashkénaze, Di Segni a été professeur au Collège rabbinique italien dont il est devenu ensuite directeur. Il est médecin de profession et a choisi, quand il a été élu Grand Rabbin, de conserver son travail de radiologue à l’hôpital San Giovanni de Rome et le contact quotidien avec les patients. On comprend, en relisant aujourd’hui le discours prononcé en février 2002, que la rencontre à la mosquée n’a pas été pour le judaïsme romain une fuite en avant, mais un geste qui est dans la ligne de son passé et de son identité.
Comme on le sait, les juifs sont venus à Rome au IIe siècle avant Jésus-Christ et n’ont jamais quitté cette ville. En 70 ap. J. C., alors que la Cité éternelle comptait 800 000 habitants, ils étaient 40 000. À la fin du XVe siècle, après l’expulsion des juifs d’Espagne, ils étaient en Italie 120 000 environ. Ils passèrent, à l’époque des ghettos, de 21 000 à 34 000 en Italie et, à Rome, de 1750 à 5000 environ. Il y avait en Italie, en 1870, 39 000 juifs. Après la page tragique des lois raciales et après la seconde Guerre mondiale, on fit le compte des juifs italiens qui avaient été envoyés dans les camps de concentration de l’Allemagne nazie et qui n’étaient pas revenus: 7 389. Dans les années suivantes, le recensement italien comptait 32 000 juifs qui devinrent 35 000 lorsque arrivèrent les juifs qui fuyaient les pays arabes (Libye, Tunisie, Égypte, Syrie, Liban, Iran, Irak…). Dans l’ensemble, ces derniers s’installèrent à Milan, mais Rome vit aussi sa communauté s’enrichir, et en particulier de juifs de Tripoli. Vit aujourd’hui dans la capitale la moitié des 40 000 juifs italiens environ. Leur liberté religieuse est garantie par l’article 8 de la Constitution et surtout par l’Entente de 1987 entre l’État et l’UCEI, l’Union des communautés juives italiennes, signée par Bettino Craxi et Tullia Zevi.
Dans les synagogues italiennes, on prie dans des langues, avec des musiques et des rythmes divers, selon les rites choisis. Mais c’est le rite italien, pratiqué par les juifs arrivés en Italie après la seconde destruction du temple de Jérusalem par Titus en 70 ap. J. C., le plus couramment suivi. Le judaïsme italien jouit d’une grande estime dans le monde juif, et la communauté romaine d’une plus grande estime encore, en raison de son histoire et de sa position particulière. Lors de son installation Di Segni avait incité les juifs romains à «être orgueilleux» de leurs particularités. Celles-ci, en effet «continuent les grandes traditions de la culture talmudique, qui avaient fait la réputation et la gloire de Rome au Moyen Âge», époque où les intellectuels de la communauté se réjouissaient aussi d’être un pont entre la Rome chrétienne qui les recevait et l’islam. «La Rome juive et la Rome chrétienne, qui se rencontrent, se respectent, coexistent en paix, collaborent sans cesser d’êtres fidèles à elles-mêmes, sont un exemple pour le monde déchiré par des conflits qui sont souvent soutenus par des visions religieuses exaspérées», a dit Di Segni au pape Benoît XVI, durant l’audience du 16 janvier dernier. Propos qui sont en accord parfait avec le portrait que Tullia Zevia a tracé de Riccardo Di Segni, à l’annonce de sa nomination à la charge de Grand Rabbin de Rome, en ces termes: «Gardien jaloux de la tradition, homme du dialogue, avec un regard très moderne», a-t-elle dit de lui.
Giovanni Cubeddu