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Tiré du n° 03 - 2006

Entre le gouvernement et nous, un dialogue franc et respectueux


Jorge Liberato Urosa Savino, l’archevêque de Caracas qui vient d’être nommé cardinal, parle de son pays et du rapport entre l’Église catholique vénézuélienne et le président Hugo Chávez.


Interview de Jorge Liberato Urosa Savino par Gianni Cardinale


Benoît XVI avec le cardinal Urosa Savino, durant le Consistoire du 24 mars 2006

Benoît XVI avec le cardinal Urosa Savino, durant le Consistoire du 24 mars 2006

«Le Venezuela exulte pour son cardinal Jorge Liberato Urosa Savino, archevêque de Caracas, qui est accompagné par sa vieille mère. À Valencia comme dans la capitale, il a accompli un grand nombre d’oeuvres pastorales pour le bien de son pays». Telles sont les paroles affectueuses par lesquelles Benoît XVI a salué l’un des nouveaux cardinaux reçus en audience avec leurs familles, le lundi 27 mars, trois jours après avoir nommé ses quinze premiers cardinaux. Les media ont souligné la délicatesse du Souverain Pontife qui, abandonnant un instant le texte officiel de son discours, s’est adressé directement à doña Ligia Savino de Urosa, mère de l’archevêque de Caracas nouvellement créé cardinal, par ces mots: «Je vous salue cordialement». «Un geste délicat qui, évidemment, m’a fait très plaisir et qui a fait très plaisir aussi à ma chère mère!», nous dit le cardinal Urosa Savino dans une interview accordée à 30Jours dans la Domus romana sacerdotalis de la via Traspontina. Nous le rencontrons après qu’il a reçu en audience don Federico Corrubolo, curé de la paroisse-sanctuaire de Santa Maria ai Monti, le titre presbytéral romain qui a été conféré au cardinal latino-américain.
Urosa Savino, 64 ans en août prochain, prêtre depuis 1967, a fait ses études à l’Université grégorienne, où il a obtenu son doctorat en Théologie dogmatique. Nommé auxiliaire de Caracas en 1982, il a été promu archevêque de Valencia en Venezuela en 1990. Le 19 septembre de l’année dernière, il a été nommé archevêque de Caracas, siège qui était vacant depuis juillet 2003, date de la mort du cardinal salésien Ignacio Antonio Velasco García.

Éminence, vous êtes le seul cardinal latino-américain qui ait été créé dans le premier Consistoire de Benoît XVI. Comment avez-vous accueilli ce privilège?
JORGE LIBERATO UROSA SAVINO: Le fait d’avoir été nommé cardinal a été un grand honneur pour moi, pour l’Église de Caracas et pour toute l’Église vénézuélienne. C’est une manifestation de l’affection du Pape pour nous tous. Depuis quarante ans, Caracas a toujours eu un cardinal et le Pape, dans sa bienveillance, a voulu poursuivre cette tradition. Mais je crois que ma nomination est importante aussi pour toute l’Église d’Amérique latine qui est en train de préparer sa cinquième Assemblée générale. Celle-ci se tiendra l’année prochaine au Brésil et le Pape doit y participer. Ce sera un moment important de réflexion qui permettra de relancer l’esprit d’évangélisation de notre Église dans une période particulièrement difficile pour notre continent.
Comment votre nomination a-t-elle été accueillie dans votre pays?
UROSA SAVINO: Les fidèles, le clergé et les religieux l’ont accueillie avec une grande joie. Tout l’épiscopat aussi. L’Église du Venezuela, grâce à Dieu, est très unie et elle travaille et prie pour conserver cette unité.
Les mass media ont-ils eux aussi particulièrement apprécié votre nomination?
UROSA SAVINO: J’ai toujours eu de bons rapports avec les media aussi bien à Valencia, où j’ai été archevêque pendant quinze ans, qu’à Caracas. Et cela, c’est un fait positif.
Et quelles ont été les réactions du monde politique?
UROSA SAVINO: Ma nomination a été bien accueillie par tous les secteurs du monde politique et social. Et cela me fait un peu peur car cela signifie que l’on attend beaucoup de moi, peut- être trop. Comme si un cardinal avait une baguette magique pour résoudre tous les problèmes. Ce qui, naturellement, n’est pas le cas. La force d’un cardinal, c’est sa prière et celle de tous ses fidèles.
Le président Hugo Chávez vous a-t-il lui aussi félicité?
UROSA SAVINO: Le président m’a appelé le jour où le Pape a annoncé ma nomination et m’a appelé de nouveau ici, à Rome, après le Consistoire. J’ai reçu de nombreux coups de téléphone de congratulations de la part de hauts fonctionnaires du gouvernement et aussi de l’opposition.
Et pourtant, ces dernières années, il y a eu de nombreuses et fortes frictions entre les autorités de l’Église vénézuélienne et le président Chávez. Des accusations frisant la grossièreté ont été lancées de part et d’autre…
UROSA SAVINO: Il faut tenir compte du fait que le processus politique en cours au Venezuela est totalement inédit. Il s’agit, au dire des acteurs de cette évolution politique, d’un processus révolutionnaire. Et cela a déterminé un changement dans de nombreux secteurs de la vie politique et sociale. Il a donc été difficile pour l’Église de se situer par rapport à ce nouvel état de choses, par rapport à ces changements. Il y a ainsi eu des incompréhensions dans son rapport avec le pouvoir politique et des affrontements verbaux parfois très violents.
Le cardinal Jorge Liberato Urosa Savino présente sa vieille mère, doña Ligia, à Benoît XVI durant l’audience accordée par le Pape aux cardinaux nouvellement nommés et 
à leurs familles, le 27 mars 2006

Le cardinal Jorge Liberato Urosa Savino présente sa vieille mère, doña Ligia, à Benoît XVI durant l’audience accordée par le Pape aux cardinaux nouvellement nommés et à leurs familles, le 27 mars 2006

Quels ont été, selon vous, les raisons de ces incompréhensions?
UROSA SAVINO: Les évêques du Venezuela ont adopté depuis longtemps une attitude d’indépendance et d’autonomie critique par rapport au pouvoir politique. Et cette attitude, ils la gardent encore aujourd’hui. Mais, que ce soit bien clair, il s’agit, quand cela est nécessaire, d’une attitude de critique positive dont le seul but est de favoriser le bien commun et non de défendre nos privilèges ou ceux de qui que ce soit. Mais, on le sait, les gouvernements – c’est vrai de tous les gouvernements – n’aiment pas les critiques. C’était comme cela avec les gouvernements précédents. Cela a continué avec le gouvernement de Chávez.
On a cependant l’impression que, dernièrement, les relations entre l’Église du Venezuela et l’État se sont un peu détendues…
UROSA SAVINO: Il y a eu heureusement, ces derniers mois, une certaine détente, la recherche d’un rapport meilleur, le désir de comprendre les différentes positions. Et cela a été vraiment positif. Il nous revient à nous, évêques, d’annoncer l’Évangile de la liberté, de la paix et de la justice. Et nous ne pouvons pas nous taire quand nous voyons que les choses ne vont pas bien. Mais, je le répète, nous n’avons aucun intérêt de parti et nous n’avons aucun parti pris contre personne. Nous demandons au gouvernement de considérer nos positions, qui sont exprimées par la Conférence épiscopale, non comme un défi lancé au pouvoir constitué mais comme une aide que nous apportons pour le bien de tout le peuple vénézuélien.
Quels sont, selon vous, les aspects positifs de l’actuel gouvernement vénézuélien?
UROSA SAVINO: Ce que le gouvernement a fait pour les pauvres, pour l’éducation, pour l’assistance médicale est, sans aucun doute, positif. C’est un fait.
Quels sont au contraire les aspects plus problématiques?
UROSA SAVINO: Le fait qu’aux dernières élections pour l’Assemblée générale n’aient été élus que des parlementaires “oficialisti”, du parti au gouvernement, ne peut pas ne pas être considéré comme préoccupant. Il y a donc dans une grande partie du peuple vénézuélien une forte défiance à l’égard du système électoral. C’est là un point problématique et délicat. Voilà pourquoi la Conférence épiscopale a lancé un appel à toutes les forces politiques et spécialement à la force “oficialiste” pour qu’elles fassent en sorte que tout le monde puisse avoir confiance dans les processus électoraux. C’est un point très important: tout le monde doit être rassuré sur le fait que les prochaines élections seront vraiment démocratiques. À commencer par les élections présidentielles qui auront lieu le 3 décembre prochain. Mais les élections ne sont pas le seul problème…
Que voulez-vous dire?
UROSA SAVINO: Il y a un autre problème qui n’a pas été résolu jusqu’à présent: c’est celui des méthodes, parfois radicales, utilisées contre ceux qui ne suivent pas la ligne gouvernementale. L’Église considère que le gouvernement doit avoir à l’égard de ces gens une attitude plus tolérante, qu’il doit y avoir un plus grand dialogue. C’est un autre point sur lequel nous insistons beaucoup.
L’Église catholique est particulièrement inquiète de la diffusion dans de nombreux pays du monde, dont ceux d’Amérique latine, de systèmes législatifs qui s’opposent à la vie et à la famille. Quelle est de ce point de vue la situation au Venezuela?
UROSA SAVINO: Le peuple vénézuélien est un peuple qui respecte la vie, de sa conception à sa fin naturelle. Il s’est historiquement toujours opposé aux forces néfastes qui veulent imposer de l’extérieur des politiques non respectueuses de la vie. Il est vrai que, ces dernières années, les tentatives pour introduire une législation favorable à l’avortement se sont intensifiées. Mais, grâce à Dieu, la grande partie du peuple et des élus dans l’Assemblée lui sont encore hostiles.
Quelle est sur ces questions la position du président Chávez?
UROSA SAVINO: Le président s’est toujours présenté comme un défenseur de la vie et s’est toujours déclaré hostile à l’introduction de lois en faveur de l’avortement. C’est quelque chose de très positif.
Avez-vous rencontré le président? Quelle impression vous a-t-il faite?
UROSA SAVINO: Je l’ai vu deux fois. Nous nous sommes rencontrés après l’annonce de ma nomination comme archevêque de Caracas. Nous avons abordé beaucoup de sujets et notre entretien a été très franc et respectueux. Nous avons eu récemment une autre entrevue, très longue, lorsque le président a reçu les nouveaux dirigeants de la Conférence épiscopale, dont je fais partie en qualité de vice-président. Cette fois-là aussi l’entretien a été franc et civil. Nous avons discuté de questions multiples. Nous étions parfois d’accord, parfois non, mais notre dialogue s’est toujours déroulé dans un climat de grand respect. Cependant, nous, évêques, nous souhaitons que le gouvernement ne dialogue pas seulement avec nous. Nous voudrions que s’ouvre un dialogue avec toutes les réalités sociales et politiques du pays.
Le cardinal Urosa Savino à son retour à Caracas, avec le président vénézuélien Hugo Chávez, le 30 mars 2006

Le cardinal Urosa Savino à son retour à Caracas, avec le président vénézuélien Hugo Chávez, le 30 mars 2006

Éminence, craignez-vous une dérive castriste du gouvernement vénézuélien?
UROSA SAVINO: Je crois que ce serait une erreur de la part du processus révolutionnaire vénézuélien d’imiter des processus révolutionnaires comme celui de Cuba, qui ne semblent pas avoir eu un résultat très positif.
Vous avez été nommé archevêque de Caracas après plus de trois ans de vacance du siège. Une anomalie due en partie, selon les observateurs, au fait que la Convention de 1964 entre le Saint-Siège et le Venezuela prévoit qu’avant de nommer de nouveaux évêques le Saint-Siège doit communiquer «le nom du candidat au président de la République pour s’assurer que celui-ci n’a pas d’objections de caractère politique général à soulever» et que «s’il existe des objections de cette nature, le Saint-Siège indiquera le nom d’un autre candidat». Pensez-vous que le moment soit venu d’abolir au Venezuela aussi ce privilège particulier du pouvoir politique?
UROSA SAVINO: Ce à quoi tient l’Église, c’est à l’évangélisation et à l’instauration de la justice et de la paix. Le Concordat est un problème important et délicat mais il ne fait pas partie pour l’instant de nos priorités. On verra plus tard.
Une dernière question. Si les relations entre le Saint-Siège et le gouvernement semblent s’améliorer, il n’en va pas de même des relations entre Washington et Caracas. Que pensez-vous, en tant que citoyen vénézuélien et en tant qu’homme d’Église, du conflit qui dure encore entre la présidence Chávez et l’administration de George W. Bush?
UROSA SAVINO: Il serait mieux, des deux côtés, d’adopter une attitude plus constructive car Washington et Caracas ont beaucoup d’intérêts communs. L’affrontement dur n’est pas la meilleure voie pour les relations internationales ni pour le bien du peuple vénézuélien et américain.


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